La Messe en si de Bach par Raphaël Pichon : une esthétique dramatique
Johann Sebastian Bach : Messe en si mineur BWV 232. Julie Roset, soprano ; Beth Taylor, mezzo-soprano ; Lucile Richardot, alto ; Emiliano Gonzalez Toro, ténor ; Christian Immler, basse ; Pygmalion, direction Raphaël Pichon. 2024. Notice en français, en anglais et en allemand. Textes chantés insérés, avec traductions en trois langues. 107’ 20’’. Un album de deux CD Harmonia Mundi HMM902754.55.
Après avoir proposé les seuls Kyrie et Gloria d’une « messe luthérienne » composée en 1733 (Alpha, 2012), Raphaël Pichon signe le sommet absolu que représente la Messe en si qu’il qualifie de véritable testament œcuménique. On lira, en guise d’introduction à la découverte de la conception du chef français, le texte dans lequel il évoque cette synthèse visionnaire de l’art d’un homme qui donne ici plus qu’ailleurs un sens au monde dans lequel il vit, et nous révèle tout ce qui se trouve au-delà. Démarche spirituelle, par la profession de foi qu’elle met en évidence, en même temps porteuse d’un sens dramatique comme d’une esthétique épanouie. On sait que la genèse de la Messe a été longue, elle s’étale sur près de vingt-cinq ans de la vie de Bach. Elle mérite qu’on lui insuffle de la grandeur d’âme.
La présente version, remarquablement enregistrée dans la cathédrale Notre-Dame du Liban, au cœur du 5e arrondissement de Paris, en avril 2024, se distingue par de nombreuses qualités. Celle de ses chœurs pour commencer, dont la cohésion permanente crée une sensation d’espace grâce à une prise de son qui ne les met pas en avant, mais les place souvent en toile de fond, celle d’une ferveur intimiste. Cela permet à la partie orchestrale de prendre toute sa dimension, que sert une construction cohérente qui laisse se développer des contrastes assurant souvent une transparence instrumentale bienvenue. Menés par leur chef dans une option de dialogue, les pupitres illustrent à merveille la profession de foi comme les phases de tendresse ou de douce et tendre passion.
Dans cette optique, d’aucuns estimeront peut-être que la dimension spirituelle est de temps à autre un peu placée au second plan, Pichon privilégiant l’esthétique dramatique à la franche ferveur religieuse. Ce sera affaire de perception personnelle. Mais la beauté sonore est toujours au rendez-vous. Elle se manifeste aussi au niveau des voix, même si la qualité individuelle peut se révéler parfois en recherche d’elle-même. C’est le cas de Lucile Richardot, qui ne livre sa véritable personnalité que dans l’Agnus Dei, après un Qui sedes mesuré. La soprano Julie Roset est très touchante dès le Christe eleison, ainsi que dans le Dominus Deus, ses partenaires respectifs, la mezzo Beth Taylor, puis le ténor Emiliano Gonzales Toro, en état de grâce, se produisant dans le même registre. On sera séduit tout autant par la basse Christian Immler, qui, dans le Quoniam tu solus sanctus comme dans Et in Spiritum Sanctum Dominum, assure l’émotion nécessaire.
Raphaël Pichon, qui insiste, dans sa présentation, sur le fait que Bach semble dévoiler comme nulle part ailleurs dans son œuvre les secrets de son âme, en a trouvé les parts intimes, comme on le constate dans Et incarnatus est ou dans le Dona nobis pacem. Face un tel niveau d’investissement et de conviction, on ne peut que s’incliner. Car c’est bien le mystère poignant qui est au plus profond de la Messe en si que nous livrent Pygmalion et son chef.
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Jean Lacroix