La pérennité de Rudolf Nureyev chorégraphe

par

Roméo et Juliette
Pour la 141ème fois, le Ballet de l’Opéra de Paris reprend la chorégraphie que Rudolf Nureyev avait conçue pour lui le 19 octobre 1984.
Les décors et costumes élaborés par Ezio Frigerio, aidé de Mauro Pagano, nous immergent dans la Vérone de Mantegna et dans La Cité idéale attribuée à Piero della Francesca, en y incorporant une statue équestre du Colleone et une fontaine de marbre se substituant à la scène du balcon. Au lever de rideau, quatre joueurs de dés, blafards comme des squelettes, cèdent la place à un cortège funèbre véhiculant les victimes de la peste. Roméo est involontairement le porteur de la mort, puisqu’il tue Tybalt, assassine le Comte Pâris, fait l’aumône à un mendiant qui passera de vie à trépas puis occasionnera la fin de frère Jean, le messager, sauvagement assommé par des bandits. Juliette, elle aussi, est poursuivie par le même spectre qui se couchera sur elle avant la nuit de noces avec Roméo ; puis, songeant au suicide, elle hésitera à se servir du narcotique ou du poignard que lui tendent les ombres de Mercutio et de Tybalt. La violence atavique qui oppose les Capulet aux Montaigu étoffe l’importance des seconds plans : ainsi Tybalt est d’abord le cousin protecteur de Juliette, la dague au poing, attaquant Mercutio par traîtrise, Roméo par vengeance implacable. Pâris n’est pas qu’un bellâtre falot, mais aussi un fiancé affirmant sa légitimité de futur époux. Gertrude n’est plus la nourrice à l’embonpoint précoce, mais la servante accorte que l’on peut trousser derrière un rideau. Mercutio virevolte en multipliant les déguisements et les tours pendables auxquels ses compagnons assimileront sa fin tragique. Et le tableau final avec le suicide des amants se clôt sur les joueurs de dés refermant le cercle et sur la réconciliation des deux factions rivales. L’Orchestre de l’Opéra National de Paris rend justice à la luxuriante partition de Prokofiev avec une virulence de coloris et une rare intensité expressive sous la baguette de Simon Hewett.
Sur scène, le couple constitué par Amandine Albisson et Mathieu Ganio est bouleversant : elle a une fraîcheur irrésistible doublée d’une indomptable détermination, lui, l’ingénuité rêveuse transcendée par la passion destructrice qui lui fera éliminer tous les obstacles. Au violent Tybalt, Karl Paquette insuffle une sournoiserie qui peut conduire froidement au meurtre, ce dont se moquera ouvertement le jovial Mercutio de François Alu. Maud Rivière campe une sémillante Nourrice, Yann Chailloux, un Pâris de noble allure, au sein d’un corps de ballet remarquable. Succès enthousiaste et nombreux rappels au rideau final !
Paul-André Demierre
Paris, Opéra Bastille, le 26 mars 2016

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