La Troisième de Bruckner par François-Xavier Roth : une interprétation qui se mérite 

par

Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie N° 3 en ré mineur, WAB 103 (version originale de 1873, éd. Leopold Nowak).  Gürzenich-Orchester Köln, François-Xavier Roth. 2023. Textes de présentation en anglais, allemand et français. 61’45’’. Myrios Classics. MYR033. 

Voici le genre d’interprétation pour lesquelles on se réjouit que l’enregistrement sonore ait été inventé, tellement elle (se) révèle davantage à chaque écoute, ne livrant pas aisément ses mystères mais récompensant l’auditeur patient, attentif et surtout prêt à renoncer à certaines idées toutes faites quant à la bonne façon -s’il y en a une- d’aborder cette musique. 

La Troisième ayant fait l’objet d’un grand nombre de remaniements, autant rassurer tout de suite le mélomane possiblement inquiet quant à la version utilisée, François-Xavier Roth opte pour la version originale de l’oeuvre -et c’est un excellent choix.

Une première écoute révèle d’emblée une approche très intéressante. Le chef et son orchestre souple et discipliné nous donnent ici un Bruckner fluide, moderne, dégraissé, méticuleusement articulé et qui évite aussi bien la débauche sonore que le côté faussement gemütlich auquel on pourrait se laisser aller dans les réminiscences de ländler qui parsèment la partition. C’est ainsi que l’Adagio, marqué Feierlich, est bien une fête maîtrisée et respectueuse, plutôt que solennelle ou guindée. Les interprètes restituent apparemment sans effort le flux naturel de la musique et évitent toute fausse solennité, gravissant sans hâte les pics de la musique dans une approche que certains trouveront peut-être excessivement retenue.

Le Scherzo, quoique plein de vie, est lui aussi marqué par une certaine mesure et on sent que le chef sait ce qu’il fait et maîtrise aussi bien la partition que l’orchestre. L’alternance entre les éruptions aux cuivres (impeccables de bout en bout) et la douceur pour ainsi dire schubertienne des épisodes lyriques est splendidement réalisée, le chef réussissant à éviter toute sensation de discontinuité. 

Le Finale est solennel, quoique sans pompe indue. La tendresse des mélodies aux cordes alterne avec des fanfares aux cuivres qui ne sont cependant pas déchaînées et encore moins débraillées. Quant à l’apothéose de l’oeuvre, elle est conduite de main de maître par Roth dont la sécurité technique comme interprétative impressionne.

Mais chaque écoute supplémentaire fait découvrir de nouveaux aspects qui témoignent de l’intelligence et la subtilité de l’interprétation. C’est ainsi qu’on se rend chaque fois plus compte des vertus d’une construction patiente, comme en témoigne la majesté de ces apothéoses -comme dans le grandiose épisode au milieu du premier mouvement ou celui d’une intensité proprement cosmique juste avant la fin de celui-ci- qui sont autant de moments de véritable grandeur plutôt que de vaines déferlantes sonores. Et ces remarques valent autant pour les épisodes similaires du Finale. On apprécie chaque fois davantage la façon dont Roth intègre tous les aspects de la musique dans une implacable logique symphonique, intégrant ce qui sous d’autres baguettes peut paraître décousu ou disparate. En outre, la maîtrise de la dynamique dont il fait preuve est réellement impressionnante : voici un chef qui, suivi dans ses moindres désirs par un orchestre extrêmement attentif et totalement gagné à sa cause, sait mener un crescendo pour en arriver à des apogées sonores encore plus impressionnants par leur refus de l’effet facile et de la surdose de décibels. 

Voici donc une lecture qui, suivant la partition au plus près, dépoussière et remet bel et bien en question certaines traditions de l’interprétation brucknérienne. Elle ne pourra que passionner l’auditeur ouvert et curieux. 

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 9

Patrice Lieberman

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