Le centenaire de Sir Charles Mackerras

Sir Charles Mackerras. The Complete Warner Classics Edition. Recordings on HMV, Pye, Columbia Gramophone, Classic for Pleasure, Emi Classics, Virgin Classics, Erato. Livret en Anglais, allemand et français. Warner Classics. 63 CD. 5021732623560
Warner classics célèbre le Centenaire de la naissance du chef d'orchestre australien Sir Charles Mackerras (1925-2010). S'il n'est pas l'un des chefs d'orchestre les plus célèbres, il reste un musicien extraordinaire tant par sa flexibilité stylistique que par le haut niveau de réflexion qu'il a amené aux œuvres qu'il dirigea.
L’étendue de sa palette de compétences, à notre époque d’ultraspécialisation, était épatante : reconnu pour sa proximité avec la musique de Janáček et ses affinités avec la musique tchèque, il était également un très grand interprète de Mozart, tout en étant à son affaire dans la musique anglaise. Travaillant en profondeur les partitions, il a accompagné le renouveau interprétatif des œuvres classiques de Beethoven à Brahms (il fut l’un des premiers - si ce n’est le premier au disque - à retenter Brahms avec un effectif chambriste de Meiningen). Sir Charles Mackerras était autant à son aise en fosse pour diriger des opéras que sur le podium symphonique tout en passant avec aisance des instruments modernes aux instruments d’époque. Sans être une superstar comme ses contemporains Colin Davis, Bernard Haitink, Claudio Abbado ou Lorin Maazel, le chef d’orchestre a pu constituer un legs discographique majeur pour : EMI Classics, Erato, Virgin, Telarc, HMV, Pye, Decca, Argo, Erato, Archiv, RCA, Signum, Supraphon, Chandos, Hyperion ou Linn. Nous sommes d’autant plus heureux de retrouver ses enregistrements qu’une grande partie n’avait été régulièrement distribuée en dehors des îles britanniques à l’image de ses nombreux disques pour Classics for pleasure, filiale anglaise budget d’EMI Classics.
Un parcours hors du commun :
Né à Schenectady, dans l'État de New York, aux USA, de parents australiens, le jeune Mackerras s’installe à Sydney avec sa famille en 1928. Dès l'adolescence, il compose des opéras et dirige des spectacles étudiants. Il étudie au NSW State Conservatorium of Music et commence à obtenir des contrats professionnels en tant que hautboïste, notamment avec la J. C. Williamson Company et l'ABC Sydney Orchestra, où il devient hautbois sl à 19 ans.
En 1947, Mackerras part pour l'Angleterre dans l'intention de devenir chef d'orchestre professionnel. Il intègre le Sadler's Wells Theatre en tant que musicien d'orchestre avant d'obtenir une bourse pour étudier la direction d'orchestre avec Václav Talich à l'Académie de musique de Prague. C'est là qu'il découvre les opéras de Leoš Janáček, une passion qui durera toute sa vie et qu’il se familiarise avec la musique tchèque dont il sera un fervent défenseur au concert et au disque.
De retour en Angleterre en 1948, il devient chef d'orchestre adjoint au Sadler's Wells, en 1951, il dirige la première britannique de Káťa Kabanová en 1951. En juillet 1959, il enregistre Janáček avec la Sinfonietta et les préludes de ses opéras avec le Pro Arte Orchestra composé des meilleurs instrumentistes de la place londonienne. Il commence à s’intéresser à l'interprétation historiquement informée. Il étudie l'utilisation des techniques d'époque, comme en témoigne son enregistrement de 1959 de la Musique pour les feux d'artifice royaux de Haendel avec l'instrumentation originale et ses ornements historiquement informés dans unep roduction légendaire des Noces de Figaro en 1965.
Une autre de ses passions est la musique légère anglaise, ainsi, il est également l'arrangeur du ballet populaire Pineapple Poll (1951), basé sur la musique de Sullivan. Cette passion de l’arrangement le poursuit : il a ensuite arrangé la musique de Giuseppe Verdi pour le ballet The Lady and the Fool, puis arrangé une suite tirée de la partition de John Ireland pour le film The Overlanders de 1946, après la mort du compositeur en 1962.
Sa carrière de chef le mobilise de plus en plus. De 1954 à 1956, il est le chef principal du BBC Concert Orchestra avant d’occuper un poste à l’Opéra de Hambourg entre 1965 et 1969 avant de prendre la tête de l‘English National Opera de 1970 à 1977. En Australie, où il a dirigé le concert inaugural de l'Opéra de Sydney en 1973, il fut le chef principal du Sydney Symphony Orchestra au début des années 1980. Il est également lié au Welsh National Opera et à bien des orchestres britanniques, comme le Scottish Chamber Orchestra, le Philharmonia Orchestra ou l’Orchestra of the Age of Enlightenment, le Royal Philharmonic Orchestra, le Royal Liverpool Philharmonic mais aussi l’Orchestra of St.Lukes à New York et la Philharmonie tchèque. L'un des grands moments de sa carrière est l’enregistrement des principaux opéras de Janáček pour Decca avec rien moins que le Philharmonique de Vienne. Sir Georg Solti avait conseillé à Decca de l’engager pour cette aventure qui semblait risquée à bien des points de vue mais qui fut un immense succès et ses enregistrements sont encore de très grandes références.
Un sacré palmarès tout en étant régulièrement invité par les grands orchestres et les grandes compagnies d’opéras mondiales. Notons également qu’il fut, en 1980, le premier chef non britannique à diriger la célèbre Last Night des BBC Proms.

Au plus proche du texte musical
Différents moments de ce coffret illustrent l’approche historiquement informée défendue par Mackerras. On peut commencer par l’intégrale des Symphonies de Beethoven enregistrée entre 1992 et 1997 avec le Royal Liverpool Philharmonic, l’une des toutes premières à utiliser l’édition révisée de Jonathan Del Mar, et l’une des plus incroyables de la discographie. Mackerras met l'accent sur les indications métronomiques, souvent rapides, du compositeur et utilise des techniques orchestrales d'époque, comme le jeu de timbales avec des baguettes dures et l'utilisation de cordes sourdines dans le mouvement lent de la “Pastorale”. Il en résulte des interprétations à la fois historiquement fidèles et d'une grande richesse dynamique. La vivacité des tempi est nerveuse mais jamais précipitée alors que le chef insuffle une force dynamique : la Symphonie n°5 est magistrale par son énergie et sa puissance dramatique. La “Pastorale” claire et aérée, portée par un orchestre miraculeux, est un autre grand moment alors qu’il faut admirer le soin apporté aux symphonies “légères” n°1, n°2, n°4 et n°6. Complètement méconnue dans les pays francophones, cette intégrale des Symphonies de Beethoven est absolument à connaître et s’affirme comme l’un des piliers de la discographie, ne cédant en rien à des sommes bien plus cotées et huppées, comme celle d’Harnoncourt (Teldec). Mackerras remettra sur le métier son Beethoven avec un second cycle capté en concert avec le Scottish Chamber Orchestra (Hyperion), qui, malgré ses qualités, ne réitère pas l’immense réussite de cette intégrale à Liverpool.
On poursuit sur le versant authentique avec un triumvirat de disques magistraux avec les non moins fabuleux musiciens de Orchestra of the Age of Enlightenment : Symphonies n°5, n°8 (dans une version complétée du musicologue B.Newbould) et n°9 et Symphonie n°4 et extraits du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn. C’est frais, léger, bondissant avec une phalange fruitée aux pupitres exceptionnels d'engagement. C’est encore des sommets de la discographie, d'autant plus que les prises de son sont magistrales. On apprécie également les concertos pour violon de Beethoven et Mendelssohn avec Monica Huggett, l’une des papesses du violon authentique. Rappelons que dans les années 1990, interpréter des grandes œuvres romantiques avec des orchestres sur instruments d’époque était novateurs : seuls Norrington, Harnoncourt ou Gardiner s’y risquaient. Si l’on compare les interprétations de Mackerras à celle de Sir Roger Norrington, on trouvera l’Australien bien plus souple et moins dogmatique que l’Anglais, comme si sa pratique assidue de la fosse lui permettait de générer cet influx en plus, faisant de ces partitions symphoniques un théâtre des notes.
Enfin, impossible de ne pas mentionner sa gravure de la Musique pour les feux d'artifice royaux de Haendel, en 1959, dans sa partition originale – un enregistrement réalisé au milieu de la nuit (le seul moment où les nombreux musiciens : dont les 26 hautbois, pouvaient se rendre disponibles). En 1966, Mackerras enregistre une version du Messie avec un effectif réduit, surtout dans le chœur, l’ajout de nombreux ornements vocaux et fioritures, des tempi plus rapides que ceux usités et des versions alternatives, comme la version à 12/8 de “Rejoice greatly”. Cette interprétation s’est toujours imposée comme une valeur sûre.
De l'équilibre des lignes
Dans le grand répertoire, Charles Mackerras se montre un chef équilibré. Prenons son Sacre du printemps, enregistré en 1987, avec le London Philharmonic. Le chef d’orchestre se fait homme de compromis entre la motricité, la linéarité, et l’équilibre des pupitres. Il y a certes des lectures plus engagées, plus analytiques, plus démonstratives, mais Charles Mackerras impose un Sacre à la fois moderne dans sa mise en avant des radicalités de Stravinsky et classique par une noblesse du geste. Il en va de même avec les Tableaux d’une exposition dans l’orchestration de Maurice Ravel, captés avec le Royal Liverpool Philharmonic. Le chef nous emmène au musée avec le sens des couleurs et de la gradation. Ce n’est pas un concerto pour orchestre démesuré, mais une ballade dans un musée, au gré des œuvres. On admire également la flexibilité du chef : savoureux dans Mahler (superbe Symphonie n°1 à Liverpool), mélodique mais sans pathos dans Rachmaninov (Symphonie n°3 et Danses symphoniques avec le LPO), cursiv dans Walton (Symphonies n°1 et n°2 encore avec le LPO), dégraissé dans Mozart (superbe sélection des symphonies avec le London Symphony Orchestra), poétique dans Delius, puissant mais épuré dans Elgar. Parfois le chef fera mieux ultérieurement, comme dans les Symphonies n°7 à n°9 de Dvořák avec un solide London Philharmonic mais qui s’incline devant la Philharmonie tchèque (Supraphon).

La passions des voix et de l'accompagnement
Chef de fosse éminemment expérimenté, Charles Mackerras avait accompagné l’émergence et le développement de carrière de bien des chanteurs. Dès lors, il est à son affaire que ce soit dans l’opéra (représenté ici par une intégrale d’Idomeneo de Mozart) que dans l’accompagnement de chanteurs en récital, et cela, que ce soit un album de Noël avec Elisabeth Schwarzkopf ou des airs d’opéra en compagnie de Montserrat Caballé pour les grands airs de Puccini, des grands duos avec toujours Montserrat Caballé et Barnabé Martì ou des chants populaires des îles britanniques avec Richard Lewis sans perdre de vue Mozart avec Barbara Frittoli. Attentif aux voix et aux équilibres, Mackerras est un accompagnateur rêvé qui ne bâcle pas le travail en mode pilote automatique. De son expérience lyrique, le chef retient la fluidité, ainsi son album des grandes pages du Ring en compagnie de Rita Hunter et d’Alberto Remedios, séduit par une direction qui narre plus qu’elle démontre. Dès lors, on ne sera pas surpris que l’un des sommets de ce coffret réside dans le cycle complet du Knaben Wunderhorn Mahlérien avec Ann Murray et Thomas Allen. Mackerras fait ressortir toute la sève populaire de ces saynètes bigarrées, parfois humoristiques mais souvent tragiques.
Découlant de cet art de chef de fosse, le maestro était également parfaitement à son affaire dans le ballet ! Que ce soit les arrangements de Verdi ou Strauss, les extraits de Tchaïkovski, les suites de Delibes et Gounod ou encore des extraits de de Falla, Charles Mackerras fait de la musique avec passion, soignant les équilibres et la fluidité.
Dès lors, ce coffret est une boîte à trésors absolument passionnante ! Elle comporte d’immenses références, mais elle documente un parcours exceptionnel au service de la musique avec compétence et humilité. Fuyant la spécialisation, poussant au maximum les connaissances, travaillant sur les texte, embrassant la totalité des domaines musicaux, Charles Mackerras est une figure hautement inspirante !
Note globale : 10
Crédits photographiques : Warner Classics