Le parcours très stylé d’Emmanuel Pahud à travers trois siècles de musique concertante pour flûte
Flute Concertos & Concertante Works. Œuvres de : Antonio Vivaldi (1678-1741), Georg Philipp Telemann (1681-1767), Johann Sebastian Bach (1685-1750), Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), Franz Benda (1709-1786), Frédéric II de Prusse (1712-1786), Johann Joachim Quantz (1697-1773), François Devienne (1759- 1803), Pietro Gianella (1737-1810), Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Ignaz Pleyel (1757-1831), Jacques-Louis Hugot (1758-1824), Franz Danzi (1763-1826), Johann Michael Haydn (1737-1806), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Leopold Hofmann (1738-1793), Louis Fobbes (1752-1815), Georges Bizet (1838-1875), Guy Bornes (1857-1933), Philippe Hersant (né en 1958), Camille Saint-Saëns (1835-1921), Cécile Chaminade (1857-1944), Francis Poulenc (1899-1963), Gabriel Fauré (1845-1924), Carl Nielsen (1865-1931), Aram Khachaturian (1903-1978), Jacques Ibert (1890-1962), Krzysztof Penderecki (1933-2020), Carl Reinecke (1824-1910), Ferruccio Busoni (1866-1924), Tōru Takemitsu (1930-1996), Marc-André Dalbavie (né en 1961), Michael Jarrell (1958), Matthias Pintscher (né en 1971), Sofia Gubaidulina (1931-2025), Alexandre Desplat (1961). Emmanuel Pahud, flûte, Divers orchestres et chefs. 1996-2021. un coffret de 14CD Warner Classics. Référence : 5021732743404
Emmanuel Pahud est sans doute le plus grand flûtiste depuis Jean-Pierre Rampal : une technique inattaquable, une variété d’attaques et de sonorités et une adéquation constante au contenu des œuvres abordées donnent à ses interprétations des allures de référence. Certes, il n’a pas le brio insolent de son prédécesseur marseillais mais il y substitue une incomparable qualité stylistique, atteinte grâce à une complicité totale avec ses partenaires. En un mot comme en mille, il y a quelque chose de son maître Aurèle Nicolet dans l’humanité mesurée avec laquelle il aborde une partition. Et cette osmose nous vaut une merveilleuse variété de styles au fil des répertoires abordés.
Certes nous sommes dans le monde, souvent conquérant, du concerto mais l’approche de Pahud nous conduit subtilement vers l’intimité de la conversation aussi brillante soit-elle. Chaque compositeur reçoit alors sa juste expressivité.
Et, pour ne prendre que les baroques, on admire tour à tour la sagesse inventive de J.S. Bach, le pittoresque amusé de Vivaldi, la diversité créative de Telemann. On passe ensuite à Postdam pour les éclats d’un « Sturm und Drang » qui sait émouvoir (C.P.E Bach bien sûr mais aussi Benda, Quantz, Stamitz et Frédéric, le maître des lieux). Arrive-t-on à Paris que l’on découvre l’insaisissable Devienne jusque dans le charme amusé des dialogues des symphonies concertantes (Danzi, Pleyel mais aussi Mozart dans sa version originale avec flûte). Pahud retourne à ses Berliner et leur chef Abbado pour des Mozart qui sont des chefs d’œuvre de conversations en musique avant de saluer au XIXe siècle le très romantique concerto de Reinecke tout en visitant quelques pièces de genre (Saint-Saëns, Chaminade. Le XXe siècle nous vaut des pages plus affirmées : un peu abrupte chez Nielsen, virevoltante chez Khachaturian dans l’habile arrangement par Rampal du concerto pour violon, plein d’animation chez Ibert. Et voici la porte ouverte aux aventures du XXe siècle là où, Pahud saura servir l’intérêt renouvelé pour son instrument : méditatif chez Hersant et Takemitsu, puissamment expressive chez Gubaidulina et Penderecki. Quand, tout comme Tharaud ou les Capuçon, il ne le suscite pas : Dalbavie, Jarrell et Pintscher où il varie des humeurs contrastées jusqu’à un fort sérieux Desplat qui se détourne des fastes de sa musique de film, pour une très dense symphonie concertante (tiens, on y revient !) d’après Pelléas et Mélisande.
Un tel programme donne le vertige, venant d’un musicien qui passe la moitié de son temps dans les rangs des illustres Berliner Philharmoniker. Il serait vite lassant s’il se contentait d’une virtuosité démonstrative. C’est heureusement la démarche inverse que pratique Pahud en nous prenant par la main pour nous faire pénétrer au cœur du message musical de chaque page. Une perpétuelle leçon de style qui fait d’un remarquable instrumentiste un grand et sincère musicien.
Son : 10 - Livret :10 - Répertoire : 10 - Interprétation : 9
Serge Martin