Le père de l'orchestre français

par

François-Antoine HABENECK (1781-1849) par François Bronner
L'Ancien Régime connaissait les "Concerts spirituels", fondés par Philidor où l'on donnait parfois de la musique profane. Les théâtres, eux, avaient chacun leur propre formation. Mais la création d'un véritable orchestre professionnel, indépendant de l'opéra, et donc ancêtre de tous nos orchestres actuels, fut l'oeuvre d'Habeneck, dont François Bonner écrit une biographie passionnante. Né à Mézières, François-Antoine Habeneck gravit patiemment tous les échelons de musicien de carrière, d'humble violoniste du rang jusqu'à la direction de l'Académie royale de musique en 1821. Chef d'orchestre à l'Opéra jusqu'en 1846, il eut à diriger les premières d'ouvrages importants tels que La Muette de Portici, Le Comte Ory, Guillaume Tell, Robert le Diable, La Juive, Les Huguenots ou Benvenuto Cellini. Mais, en dehors de l'opéra, il dirigeait déjà depuis longtemps aux "Concerts spirituels", qu'il avait revivifiés, les symphonies de Haydn et de Mozart et, surtout, de Beethoven, inconnues en France. Le 22 novembre 1826, Habeneck invite à souper chez lui des amis musiciens, et, surpris puis très excités, ils jouent la symphonie "héroïque". Deux ans plus tard, la "Société des concerts" est fondée, vouée à la révélation en France de la musique classique, et, avant tout, de Beethoven. Habeneck y créera en effet les neuf symphonies, ainsi que plusieurs concertos. Son interprétation devait être magnifique, car elle suscita les plus brillants commentaires tels ceux de Wagner qui, lors de ses séjours parisiens, n'hésita pas à parler du "meilleur orchestre du monde" ! Ses exécutions de Beethoven exercèrent une profonde influence sur les musiciens de son temps, en particulier sur Berlioz. Les relations entre Habeneck et Berlioz font l'objet de nombreux moments vécus en direct : Habeneck créera en effet la Symphonie fantastique et la Grande Messe des morts (l'épisode fameux de la tabatière est expliqué). Il bataillera aussi pour son ami Mendelssohn, dont il jouera à Paris toutes les oeuvres importantes. Malgré le succès de ses concerts, il y eut des critiques, fustigeant une certaine routine et un répertoire trop germanisant. Cela est probablement vrai, et la création moderne sera reprise par des associations telles que Colonne, Pasdeloup ou Lamoureux. Mais Habeneck a fixé une norme d'interprétation orchestrale unique en son temps, et qui fut admirée. Le personnage est attachant, par sa volonté opiniâtre de révéler au public les chefs-d'oeuvre qu'il ne connaissait pas encore. Le lecteur découvre aussi une époque passionnante, où l'on rencontre Baillot, Rode et Kreutzer, compagnons violonistes de  jeunesse du héros, mais aussi Weber allant à Londres, Liszt arrivant à Paris avec son père, Spontini et Meyerbeer en pleine gloire, ou Wagner tentant de placer son ouverture de Faust.  François Bonner dépeint au delà de son personnage toute une époque foisonnante et d'une incalculable richesse culturelle. Des moments uniques comme la perception au jour le jour des symphonies de Beethoven ou la création de la Symphonie fantastique sont à savourer. Et puis, surtout, l'ouvrage remet à l'honneur une figure essentielle de l'histoire de la musique en France. Connue, sans doute, mais pas assez.
Bruno Peeters
Paris 2014, Editions Hermann, 403 p., 35 euros

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