Le pianiste américain John Wilson sert avec passion Rachmaninov et Gershwin, mais aussi Earl Wild

par

Serge Rachmaninov (1873-1943) : Sept mélodies, op. 4 n° 4, op. 14 n° 1, 2, 5 et 8, op. 21 n° 8 et op. 38 n° 5, transcrites pour le piano par Earl Wild. George Gershwin (1898-1937) : Trois Préludes. Earl Wild (1915-2010) : Fantaisie sur Porgy and Bess de Gershwin. John Wilson, piano. 2022. Notice en anglais, en allemand et en français. 58.36. Avie AV2635. 

Né en 1988 dans la localité de Scranton, proche de New-York, le pianiste John Wilson a été bercé dès son enfance par les spectacles et les airs de Broadway, de Duke Ellington et de Glenn Miller, et par la pop music. Formé à Baltimore, au Peabody Institute de l’Université Johns-Hopkins, où il a suivi les cours de Marian Hahn et de Benjamin Pasternack, il a reçu aussi des leçons de Leon Fleisher et de Murray Perahia, et s’est nourri des conseils d’Emanuel Ax, Jean-Yves Thibaudet ou Leif Ove Andsnes. Dans la notice, John Wilson explique qu’il a toujours aimé Gershwin, dont il a très tôt travaillé la Rhapsody in blue, sa famille étant friande des partitions de ce compositeur. Il précise : Je n’ai cependant pas tardé à mettre de côté mes rêves de Broadway pour me destiner à devenir un pianiste de jazz professionnel. Après quelques années d’apprentissage, j’ai laissé le répertoire classique prendre pleinement possession de mon temps. Wilson est devenu soliste, concertiste et chambriste (albums avec la flûtiste Sonora Slocum chez Affetto, ou avec le Quatuor Amernet chez MSR Classics). 

En 2022, déjà pour le label Avie, John Wilson a gravé en première mondiale Upon Further Reflection, une vaste partition pour piano en trois mouvements de Michael Tilson Thomas, qu’il considère comme son mentor. Le programme était complété par la sonate d’Aaron Copland (dont il existe une version par son professeur Benjamin Pasternack chez Naxos) ainsi que, attirance innée oblige, par plusieurs chansons de Gershwin dans une transcription pour piano d’Earl Wild, prestigieux virtuose américain (1915-2010) qui a été notamment l’élève d’Egon Petri, un disciple de Busoni. En 1942, Toscanini invita Wild à jouer avec lui la Rhapsody in blue pour un concert en direct à la NBC, dont le succès fut considérable. Wild enregistrera l’œuvre de Gershwin en 1959 avec les Boston Pops d’Arthur Fiedler pour RCA. Mais il avait aussi des affinités particulières avec Rachmaninov, dont il a laissé une intégrale de référence des concertos pour piano, avec le Royal Philharmonic Orchestra dirigé par Jascha Horenstein, en couplage avec la Rhapsodie sur un thème de Paganini, en mai 1965 pour Chandos, ainsi que des transcriptions de mélodies, dont il a lui-même enregistré certaines (Ivory, 2008), Martin Jones se chargeant d’autres (Nimbus, 2017) et Giovanni Doria Miglietta de l’ensemble (Brilliant, 2022). 

John Wilson propose sept transcriptions de mélodies de Rachmaninov par Earl Wild en ouverture de programme. Particulièrement réussies, ces pages évoquent l’univers du compositeur encore présent dans sa Russie natale ; elles datent toutes d’avant son exil de 1917. Wild souligne la part globale de poésie, de rêverie, de drame et de mélancolie, ainsi que le dépouillement (op. 4 n ° 4), l’amour (op. 14 n° 1), l’exaltation (op. 14 n° 5), l’élégie (op. 14 n° 8) ou la sentimentalité (op. 21 n° 8, qui déplore la mort d’un serin). Wilson s’investit, avec les mêmes caractéristiques, dans un style d’une grande fluidité, avec un lyrisme engagé, qui se pare de couleurs affectives.

Le lien établi avec Gershwin et Wild par Wilson dans son premier album de 2022 se prolonge ici par la Fantasy on Porgy and Bess, dont Wild donna la première en décembre 1977 à Pasadena, en Californie. On retrouve l’atmosphère de l’opéra de 1935 grâce à la succession des chansons qui figurent ici dans leur ordre original. Très à l’aise dans cet ensemble à la fois démonstratif et émouvant, Wilson signale que c’est la première partition de Wild qu’il a travaillée, qu’il la considère comme la transcription la plus parfaite qu’il a réalisée et qu’il la porte en lui depuis ses dix-neuf ans. Le pianiste s’investit tout autant dans ces vingt-cinq minutes, dont il souligne avec éloquence la beauté et la qualité de l’inspiration. 

Pour honorer Gershwin seul, Wilson a choisi ses Trois Préludes de 1926, publiés l’année suivante, qu’il installe entre les transcriptions de Rachmaninov et celles de Porgy and Bess. En un peu plus de six minutes, le pianiste démontre ses affinités avec l’univers subtil, sensuel et concentré de Gershwin, la sensibilité de ce dernier, l’évocation des rythmes populaires et du swing et l’envoûtement que ces courtes pages entraînent. John Wilson y est comme chez lui. 

Voilà un très beau disque de piano, cohérent dans son élaboration, audacieux dans ses rapprochements (mais les transcriptions de Wild créent de vraies passerelles entre le Russe exilé et le natif de Brooklyn), et efficace dans sa réalisation engagée. Enregistré sur un Steinway à la Soka University d’Aliso Viejo en Californie, du 17 au 19 août 2022, cet album enthousiasmant, à la prise de son équilibrée, fait surgir un souhait : que John Wilson se décide à graver cette Rhapsody in blue qui l’accompagne depuis ses premiers pas pianistiques.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix    

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