Le « Pré aux clercs », musique ravissante et mise en scène vieux jeu à l'Opéra Comique

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Un siècle et demi après sa création, la musique de Ferdinand Hérold continue de charmer,  de surprendre et même de captiver. Que les contemporains n'aient pas tari de louanges et déploré la mort prématurée du musicien -dont le Zampa avait déjà été programmé il y a quelques années sur cette même scène de Favart, est une chose; que le spectateur du XXIe siècle soit  encore sensible à son pouvoir de séduction en est une autre. Et bien, il est considérable ! Déjà évidemment, pour avoir traversé  le temps et les modes. Mais aussi, lors de cette résurrection, pour avoir surmonté l'épreuve d'une exécution « à la serpe » (Paul Mc Creesh) amplifiée par un système acoustique avare de nuances, pour avoir aussi surnagé au dessus des flots de naphtaline, pour enfin, susciter l'émotion en dépit d'un livret qui relève plus de la curiosité historique que d'une trame équilibrée (Isabelle suivante protestante de la reine Margot est amoureuse du Huguenot Mergy mais doit épouser le cruel marquis catholique de Comminges, le tout se concluant par un duel au « pré au clercs »). D'autant que le découpage des trois actes accuse encore ses faiblesses : première partie d'une heure quarante – c'est très long sur un strapontin !-  et seulement trente minutes pour la seconde. C'est que Ferdinand Hérold, surdoué de la musique,  idéaliste et timide, tout en recherchant le livret de ses rêves, revint de la villa Médicis  fort épris d'Italie. Le sort voulut qu'il fut ensuite chef de chant à l'Opéra où, précisément, régnait alors en maître, « le grand Lama », comme le surnommait le ténor Nourrit, Gioachino Rossini. Si bien que l'élève de Méhul mis à l'école du chant rossinien offre ici la synthèse admirable de la sensibilité, la clarté, la poésie  françaises et la vivacité, les coloris variés le sens de la scène du dernier maître du pur bel canto. « La partition est charmante et joue habilement des amours aristocratiques du couple Isabelle-Mergy confrontées aux amours simples des aubergistes du Pré aux clercs, Nicette et Girot. » remarque judicieusement Bruno Peeters. C'est qu'effectivement les schémas baroques et belcantistes perdurent ici avec éclat : monde terrien, populaire au chant peu orné (soldats, chasseurs, campagnards, aubergistes) -personnages intermédiaires franchement comiques ou semi-sérieux- personnages héroïques au chant large, subtil et orné. On est bien là, à l'époque la plus glorieuse du chant français et, tandis qu'Hérold et Garcia disparaissaient, que Rossini jetait ses derniers feux avec Guillaume Tell, Robert le diable faisait apparaître déjà une autre Isabelle en 1830-31 au Grand Opéra. Délices des voix conversant avec les instruments solistes, ensembles duos, trios, septuor, grand final étourdissant de virtuosité avec cet art de l'accélération cher à Mozart et poussé à l'extrême par Rossini. L'alternance parlé-chanté propre à l'opéra comique est fort bien maîtrisée par l'ensemble des interprètes à l'exception de quelques membres du Choeur Accentus parfois peu audibles. Ce cocktail de comique, de cape et d'épée, de drame et de sentimentalité a quelque chose de tout à fait exotique aujourd'hui. Hélas, au lieu d'en tirer parti, le metteur en scène Eric Ruf de la Comédie Française, au mépris de toute l'histoire de l'opéra, a pris l’œuvre « au sérieux » tout en récusant les didascalies trop « carte postale » ! Invoquant Shakespeare et Victor Hugo, il prône un « théâtre de l'incarnation » en oubliant Mérimée dont la  Chronique sarcastique « du règne de Charles IX » sert pourtant de base au livret ! Cette « banalité voulue » se traduit par une triste série de platanes (la forêt d'Etampes et le Pré au clercs), un mur noirâtre (le Louvre), des costumes et des jeux de scène benêts dignes d'un « son et lumière ». En revanche, cette non-présence profite aux chanteurs. Magnifique, de ligne vocale, de nuances et de style le ténor Michael Spyres faisant oublier son accent britannique, impose une aristocratique présence à défaut de fougue béarnaise dans le rôle de Mergy. Marie-Eve Munger illustre une fois de plus l'excellence de l'école de chant canadienne dans le rôle sensible d'Isabelle. Marie Lenormand (Marguerite de Valois), Jaël Azzaretti (Nicette) comme Emiliano Gonzalez Toro (Comminge) sont très investis tandis que le Cantarelli sans reproche d'Eric Huchet gagnerait à un peu de démesure. Doué de beaux moyens, Christian Helmer (Girot) s'engage tout autant. Les ensembles, délicats à manier (car les dialogues se superposent) sont réglés avec beaucoup de soin. Au delà du trac de la première, une résurrection fascinante qui mérite d'être largement reprise avec une mise en scène plus opulente. En attendant, diffusion sur France Musique le 11 avril.
Bénédicte Palaux Simonnet
Opéra Comique, Paris 23 mars 2015

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