Un Tancredi d’exception à Lausanne

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Pour la première fois dans son histoire, l’Opéra de Lausanne affiche la première opera seria Rossini, Tancredi. Plutôt que de nous immerger dans la Sicile du XIe siècle, la mise en scène d’Emilio Sagi, les décors de Daniel Bianco, les costumes de Pepa Ojanguren nous transportent au début du Risorgimento  dans une salle de palais à grandes baies vitrées, comme si l’on allait être  reçu par le Prince Salina dans Le Guépard selon Luchino Visconti. Tancredi devient un fringant officier, Amenaide, une aristocrate de vieille souche, Argirio et Orbazzano, des généraux à la tête de factions rivales. Et le dernier tableau se joue devant l’un de ces tombeaux de marbre dont pourrait s’enorgueillir le Cimetière Monumental de Milan. A la tête du Chœur de l’Opéra de Lausanne (préparé par Antonio Greco) et  de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, Ottavio Dantone impose une lecture empreinte de classicisme fin XVIIIe, tout en sachant valoriser les soli des vents avec un brio qui ne s’essouffle jamais au cours de deux actes très longs. Sur scène, c'est une prise de rôle pour chacun des chanteurs. Après avoir triomphé ici avec Isabella de L’Italiana in Algeri, Anna Bonitatibus s’empare, avec ses moyens de mezzo soprano,  d’un  Tancredi  qu’elle veut intrépide sans forcer les extrémités de tessiture, en se montrant touchante dans les moments élégiaques. Pour ses débuts à Lausanne, Jessica Prattincarne une Amenaide à l’apogée de ses capacités vocales, jouant d’une palette de coloris fascinants  grâce à une technique époustouflante. Le ténor chinois Yije Shi offre au rôle d’Argirio une émission enfin libérée et un aigu sain, après les nasillements entendus à Pesaro durant tant de festivals. La basse Daniel Golossov confère une certaine épaisseur au rôle sacrifié d’Orbazzano, tandis que Camille Merckx n’a que sons engorgés pour camper la servante Isaura et que la frêle Mashal Arman n’est qu’un Roggiero de petite pointure. Mais qu’importe quand il y a de véritables têtes d’affiche et un chef !
Paul-André Demierre
Opéra de Lausanne, le 20 avril 2015                          

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