Leonardo García Alarcón magnifie Handel, mais encore plus Giovanni Paolo Colonna

George Frideric Handel (1685-1759) : Dixit Dominus HWV 232. Giovanni Paolo Colonna (1637-1695) : Messa concertata a 5 voci. Elizaveta Sveshnikova et Mariana Flores, sopranos ; Paul-Antoine Bénos-Djian, contreténor ; Valerio Contaldo, ténor ; André Morsch, basse ; Cappella Mediterranea ; Chœur de chambre de Namur, direction Leonardo García Alarcón. 2024. Notice en anglais et en français. 68’ 31’’. Ricercar RIC 470.
Le choix de cette association discographique de Handel avec le Bolognais Colonna découle-t-il de l’observation du compositeur anglais William Boyce (1711-1779), pour lequel Handel est un héritier direct de Colonna dans l’écriture sacrée ? La réponse de Leonardo García Alarcón à la question que lui pose Jean-Marie Marchal dans un entretien reproduit dans la notice est positive ; il précise que dans le domaine de la musique sacrée, l’Italien a eu un rôle de pionnier en concevant une musique dans laquelle les instruments n’évoluent pas seulement colla parte (en doublant les parties vocales), mais de manière séparée, à la fois complémentaire et indépendante. Alarcón ajoute que lorsque Handel va en Italie au cours de l’hiver 1706, c’est à Colonna que l’auteur du Dixit Dominus se mesure en même temps qu’il lui rend hommage.
Handel achève en avril 1707, à Rome, son Dixit Dominus, au sujet duquel Marc Maréchal, dans un autre texte de la notice, rappelle que, pour Martin Luther, le Psaume 110 méritait « un cadre en or, incrusté de pierres précieuses ». Le grand réformateur aurait sans doute apprécié l’élan inflexible et la grandeur éblouissante de l’œuvre handelienne, qui suit le texte biblique avec respect, dans un contexte de virtuosité et de riche veine mélodique, apanage d’un compositeur qui n'a alors qu’un peu plus de 22 ans. Avec l’équipe qui l’entoure, Alarcón en propose une lecture brillante, le Chœur de chambre de Namur fournissant une prestation parfaite dans les moments qui lui sont réservés (extraordinaire Consaquabit capita). Les solistes du chant se révèlent eux aussi transportés dans leurs interventions, même si Elizaveta Sveshnikova tarde un peu à prendre ses marques, qui sont assurées lorsqu’elle est en duo avec Mariana Flores, irréprochable, dans De torrente in via. Les voix masculines sont tout à fait en situation, et les cordes de la Cappella Mediterranea répondent idéalement aux sollicitations de leur chef. Une superbe version, qui se termine en apothéose, et prépare un terrain propice pour la partition de Giovanni Paolo Colonna.
Pour ce dernier, Jérôme Lejeune signe une présentation claire et précise, comme il en a l’habitude. Il souligne le fait que la Messa concertata a 5 voci, composée en 1684 pour le jour de la fête de San Petronio fixée au 4 octobre, à Bologne, fait partie d’un genre particulièrement somptueux développé par Colonna. Ce dernier, né et mort dans la cité d’Émilie-Romagne, a été organiste de la cathédrale San Petronio, avant d’en être le maître de chapelle. Il jouissait d’une importante notoriété de son vivant, comme le signale Alarcón, ce dont atteste l’intérêt de l’empereur Léopold Ier, qui s’efforçait d’acquérir des copies de ses œuvres, et celui du pape Innocent XII, qui essaya de l’attirer à Rome comme maître de chapelle à Saint-Pierre, offre que Colonna, fidèle à Bologne, déclina. Pour la présente messe, l’effectif est riche, assurant un bel équilibre entre choristes et instrumentistes. Le résultat est fervent et grandiose sous la baguette d’Alarcón, qui entraîne ses troupes dans une aventure fascinante, avec présence récurrente des voix solistes, toutes galvanisées par une ambiance globale éblouissante, les chœurs et l’orchestre faisant forte sensation. Architecturée avec une confondante éloquence dès le Kyrie, cette Messa concertata, chef-d’œuvre gravé ici en première mondiale, révèle ses multiples beautés.
On notera, anecdote en forme de clin d’œil, que si la date de naissance de Colonna (1637) est indiquée avec précision en tête de la notice, une erreur s’est glissée sur la face postérieure de l’album, où l’on fait naître le compositeur en… 1674, le privant de 37 ans de vie. Quelle précocité aurait été la sienne s’il avait composé sa Messa concertata à l’âge de dix ans ! Mais on imagine surtout la perte qu’aurait pu représenter, à 21 ans, le décès de ce remarquable créateur.
Reste un dilemme : vu la qualité de chaque œuvre du programme, à quel nom classer ce précieux album ? Chacun jugera, en fonction de sa passion pour Handel, ou en considérant que Colonna mérite une vraie mise en évidence.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix