Les symphonies du Finlandais Olli Mustonen sont nourries de culture nationale

par

Olli Mustonen (*1967) : Symphonies n° 2 « Johannes Angelos » et n° 3 « Lumières célestes ». Ian Bostridge, ténor ; Orchestre Philharmonique de Turku, direction Olli Mustonen. 2022/23. Notice en anglais et en finnois Textes chantés inclus, dans les deux langues. 64.44. Ondine ODE 1422-2.

Si l’on connaît bien les enregistrements d’Olli Mustonen et son vaste répertoire sous divers labels en tant que pianiste (Beethoven, Rachmaninov, Prokofiev, Chostakovitch, Respighi, Martinů, Rautavaara, etc.) ou comme chambriste, on sait moins qu’il est aussi chef d’orchestre et compositeur. Né à Vantaa, l’une des villes qui constituent l’agglomération d’Helsinki, Mustonen a notamment étudié le piano avec Ralph Gothoni et la composition avec Rautavaara. Très impliqué dans la vie musicale de son pays, il est responsable de plusieurs festivals. Tenté par la composition, il s’est attardé à la musique de chambre (un récent disque Lawo donne accès à son premier quatuor et à son Quintette avec piano), mais s’est lancé aussi dans l’aventure orchestrale. Au début de la décennie 2010, il écrit sa Symphonie n° 1 pour baryton et orchestre, dont il dirige lui-même la création avec la Philharmonie de Tampere, sur des poèmes de l’écrivain finnois Eino Leino. Il compose dans la foulée sa Symphonie n° 2 « Johannes Angelos », qui s’inspire d’un roman de Mika Waltari (1908-1979), auteur finlandais reconnu internationalement en 1945 pour Sinouhé l’Egyptien, qui a fait l’objet en 1954 d’un film de Michael Curtiz (avec Edmund Purdom, Jean Simmons et Victor Mature), un remarquable péplum dont la splendide musique est signée par Bernard Herrmann et Alfred Newman (Naxos, 2007).  

La musique de Mustonen se nourrit de la culture finlandaise, de son histoire, de son héritage folklorique et de sa littérature, notamment le Kalevala. Elle est composée dans un esprit néo-romantique, qui rappelle les grands compositeurs du passé et fait la part belle à l’expression dramatique. La Symphonie n° 2 de 2013 est une fresque autour de la chute de Constantinople, prise par les troupes ottomanes en mai 1453, marquant ainsi la fin de l’empire byzantin. Mika Waltari a écrit en 1952 Les Amants de Byzance ou l’Ange noir, un roman dont le héros, Johannes Angelos (sous-titre de la symphonie), personnage mystérieux d’origine grecque élevé en France, fut l’un des défenseurs de la cité assiégée, tout en y vivant un amour tragique. En quatre mouvements, Mustonen met en scène en premier lieu l’apogée du mysticisme byzantin à travers la description grandiose du quartier impérial de Constantinople et utilise des références mariales. Les vents sont bien présents, avec les cordes et la harpe. La Journée de Spyridon évoque ensuite la fête célébrée le 12 décembre, en souvenir de ce saint du IVe siècle, et les concessions faites par les orthodoxes aux catholiques. L’agitation règne, qu’apaise un interlude lyrique. Les préparatifs de la bataille incitent le peuple angoissé, dans le troisième mouvement, à la prière. Pour l’évoquer, Mustonen s’inspire de thèmes liturgiques, dans un climat sombre et tendu, mais aussi mystique. Le final, épique et dramatique, décrit avec des effets percussifs la chute de la cité, ainsi que la mort de Johannes et d’Anna, la femme qu’il aime. Un hymne souligne la grandeur que laisse Byzance à la postérité. Cette partition très accessible fait la démonstration de la créativité spécifique de Mustonen, attaché aux formes du passé, servies ici avec une expressivité de bon goût, sans emphase. 

La Symphonie n° 3 a d’abord été conçue sous la forme d’une page pour ténor, violoncelle et piano, dont la première fut donnée à Amsterdam par Ian Bostridge, Steven Isserlis et Mustonen lui-même, avant de devenir une partition orchestrale en 2020. Sous-titrée « Taivaanvalot » (Lumières célestes), elle s’inspire d’une légende du folklore finlandais. Mustonen a unifié des passages du Kalevala, l’épopée mythologique d’Elias Lönnrot (1802-1884), traduite en anglais en 1989 par Keith Bosley (1937-2018). On lira dans la notice les détails du récit au cours duquel le chef maléfique de Pohjola, lieu mythique, fait prisonniers le soleil et la lune, plongeant le peuple dans les ténèbres. Jouée sans interruption, la symphonie laisse le ténor (remarquable Ian Bostridge, vaillant et investi) dérouler le fil de l’action, de façon poétique, et faire allusion à divers personnages, avec des moments hypnotiques, mais aussi dans une ambiance récurrente de rythmes affirmés. Le climat général, qui est à la fois mystérieux et exalté dans sa fine orchestration qui fait intervenir piano et harpe, s’achève par un passage chanté en finnois, prière à la lune et au soleil. Cette langue fascinante, insondable dans toute sa complexité pour un auditeur non familier, ajoute une teinte ésotérique, avant que le ténor ne vocalise pendant que l’orchestre se déploie dans la lumière.

La cité de Turku, sur la côte sud-ouest du pays, a été, avant Helsinki, la capitale de la Finlande, alors intégrée au royaume de Suède, jusqu’en 1812. Sa Philharmonie, qui est l’orchestre le plus ancien de Finlande, fondé en 1790, a connu d’éminent chefs d’orchestre, à commencer par Jean Sibelius, qui y a dirigé à plusieurs reprises ses compositions. Paavo Berglund, Jorma Panula, Hannu Lintu ou Leif Segerstam ont été à sa tête. Olli Mustonen en est le directeur artistique depuis 2021. La phalange, bien rodée à la musique nationale, donne des deux symphonies de son chef d’orchestre, qui les dirigent, des interprétations que l’on qualifiera de conformes à leur esprit, cette musique chaleureuse s’écoutant avec plaisir. Si cette découverte n’est pas révolutionnaire, l’écriture se situant dans une ligne classique, elle sollicite toutefois l’auditeur par sa qualité émotionnelle et par les univers originaux auxquels elle donne accès.  

Son : 8,5  Notice : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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