Lieder de Friedrich Theodor Fröhlich en première gravure mondiale

par

Friedrich Theodor Fröhlich (1803-1836) : Lieder : Lieder an Meieli ; Wonne der Einsamkeit ; Hyperions Schicksalslied ; Rückkehr in die Heimat ; Ihr Heimatfluren. Raphael Höhn, ténor ; Shin Hwang, pianoforte. 2022. Notice en allemand et en anglais. Textes chantés reproduits, avec traduction anglaise. 59’ 39’’. Un CD Claves 50-3089.

Né à Brugg, commune suisse du canton d’Argovie, fils de pasteur et homme politique, le jeune Friedrich Theodor Fröhlich, après sa scolarité à Zurich, étudie le droit à Bâle pour se conformer à la tradition familiale, mais aussi la musique. Grâce à une bourse, il peut se rendre à Berlin, où il suit les cours de Bernard Klein qui a étudié au Conservatoire de Paris, et de Carl Friedrich Zelter (1752-1835), ami de Goethe et professeur de Mendelssohn. Fröhlich rencontre ce dernier. Il se met à composer, mais n’arrive pas à se faire une place dans la vie musicale berlinoise. Il rentre en Suisse où il enseigne, dirige des chœurs et un orchestre local. En proie à des difficultés conjugales et financières, Fröhlich se suicide à 33 ans, le 16 octobre 1836, en se jetant dans l’Aar, un affluent de la rive gauche du Rhin. Il laisse un catalogue limité : musique orchestrale (dont une symphonie inachevée), musique de chambre, pièces vocales et pour piano. Une partie de sa production a été enregistrée. On peut ainsi trouver ses quatuors à cordes par le BeethovenQuartett (MGB, 2015) ou par les Russes du Quatuor Razumovsky (CPO, 2016), des Chansons et élégies par le baryton Klaus Mertens et le pianiste Volodymyr Lavrynenko (Rondeau, 2022), ainsi que des albums sous le label Musique suisse, dont son Miserere et des motets. Le présent album Claves invite à la découverte de lieder placés sous le thème général de « la maison ».

Une « maison » prise au sens large, à savoir aussi bien l’habitation que le lieu de naissance, la localité, la famille, la communauté religieuse, ou l’être lui-même, en son for intérieur. Pour illustrer ce propos global, le cycle Lieder an Meieli ouvre le présent récital. Il s’agit de six poèmes d’August Heinrich Hoffmann von Fallersleben (1798-1874). Ce professeur et écrivain allemand aux idées libérales, qui sera un proche de Liszt (ce dernier sera parrain de son fils) a connu une vie tourmentée sur le plan politique. Francophobe convaincu, il est aussi l’auteur de Das Lied der Deutschen, dont le troisième couplet servira d’hymne national à l’Allemagne réunifiée. Les Lieder an Meieli datent de 1827 ; l’évocation du bleu de la mer et des yeux, de promenades en solitaire qui réconfortent, d’arbres en fleurs et de chants d’oiseaux, de paix ou de célébration éternelle parcourent un ensemble plein de délicatesse, illustré par un jeune musicien qui, sur la base d’une virtuosité bien dosée, crée des fluctuations d’atmosphère et de tempo mettant en évidence le chanteur et le soutien pianistique. Une intimité se crée en douceur entre la poésie et l’auditeur, dans un climat feutré.

Le Berlinois Johann Ludwig Tieck (1773-1853), ami de Novalis et de Schlegel avec lequel il traduisit les œuvres de Shakespeare, survécut à tous les grands romantiques allemands de son temps. Son Wonne der Einsamkeit est un éloge de la solitude dont la tranquillité fait du bien à l’âme. C’est ensuite à Hölderlin (1770-1843) que Fröhlich fait appel, avec deux poèmes : Hyperion Schicksalslied dépeint avec intensité la souffrance du Titan, qui est celui de la lumière, éloigné de l’Olympe ; il fait un beau contraste avec Rückkehr in die Heimat, qui salue le bonheur du retour sur la terre patrie. Deux derniers poèmes, anonymes (la notice pense qu’ils pourraient être de la main du compositeur ou de son frère) complètent cette évocation des lieux familiers où tout rappelle l’enfance et l’attention maternelle. 

À la manière de Zelter, le professeur de Fröhlich, mais aussi de Johann Friedrich Reichardt (1752-1814), autre ami de Goethe, une unité lyrique et musicale règne tout au long de ce récital racé et élégant, et l’ambiance qui règne est celle d’une réelle fraîcheur d’inspiration. Le ténor suisse Raphael Höhn (°1984), qui a étudié à Zurich et à La Haye et a été lauréat du Concours international de Leipzig en 2016, s’investit avec une conviction communicative, grâce à une voix sensible aux nuances et aux subtilités des lieder, à la fois mélancoliques et légers. Le pianiste américain Shin Hwang, qui a étudié au Michigan, mais aussi à La Haye et à Freiburg, joue ici sur un pianoforte du facteur viennois Donat Schöfstoss (1773-1811), construit entre 1804 et 1811, qui est la propriété du Musée Blumenstein de Solothurn, en Suisse. Un plaisir esthétique vient s’ajouter, grâce à la sonorité chaleureuse de cet instrument ancien, créant ainsi un climat qui rend justice aux lieder raffinés de Fröhlich. Une belle découverte, qui plaira aux amateurs du genre.

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix     

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