L’orgue français du berceau au Classicisme, –viatique pour le jeune Quentin du Verdier 

par

Aux origines de l’orgue français. Pierre Attaingnant (éd., c1494-1552) : Kyrie [Messe Cunctipotens Genitor Deus]. Jehan Titelouze (1563-1633) : Hymne Ad cænam agni providi. Charles Racquet (1597-1664) : Fantaisie sur le Regina Cæli. Louis Couperin (1626-1661) : Préludes et Fantaisies. Guillaume-Gabriel Nivers (1632-1714) : Sanctus ; Benedictus [Messe Cunctipotens]. Nicolas de Grigny (1672-1703) : Kyrie [Messe Cunctipotens]. Plain-Chant. Quentin Du Verdier, orgue Thomas de l’église de Champcueil. Volny Hostiou, serpent. Thomas van Essen, ensemble Les Meslanges. 2023. Livret en français. TT 63’10. Rocamadour #04

Cet album initie la collaboration entre le CNSMD de Paris et le label Rocamadour – Musique Sacrée, qui entend chaque année ouvrir ses micros à un étudiant en master de ce conservatoire. Déjà titulaire de quatre prix internationaux, le prometteur Quentin du Verdier inaugure cette série d’enregistrements en proposant un voyage aux sources, de François Ier jusqu’au crépuscule du Grand Siècle. Le diapason, le tempérament mésotonique, le clavier à feintes brisées de l’instrument construit en 2009 par la manufacture Thomas en l’église de Champcueil s’annoncent propices aux racines de ce répertoire.

Le parcours chronologique débute par le Kyrie édité par Attaingnant (1531), qui en 1973 figurait dans le chapitre « Renaissance » de la frise discographique qu’André Isoir chez Calliope dédia à l’évolution de l’orgue français ; et il s’achève par un autre Kyrie, celui de la géniale Messe de Grigny, sommet de la production pour tuyaux sous l’Ancien Régime. Entre ces bornes, rien de Nicolas Lebègue, Nicolas Gigault, André Raison, ni Jacques Boyvin. Mais Ad cænam agni providi tiré des douze Hymnes de Titelouze, l’ingénieuse Fantaisie de Racquet qu’Olivier Latry (Les organistes de Notre-Dame avant la Révolution, RCA, 1995) et Frédéric Desenclos (Organistes de cathédrales du Grand Siècle à l'orée des Lumières, Tempéraments, 2006) avaient déjà incluse dans leur anthologie historique, –sans compter l’irradiante lecture de Frédéric Munoz à Rodez (XCP, mai 1993). Aussi un extrait de la Messe de Nivers, et quelques pages de Louis Couperin. Regrettons au passage que la sélection de « Préludes et Fantaisies » ne soient pas même cotés. Le livret inspire d’ailleurs des réactions contrastées. On apprécie la table de registrations employées, la traduction d’époque des textes liturgiques, la notice subjective pour chaque œuvre, au risque d’appellations maladroites dans la forme voire contestables sur le fond (« infériorité stylistique » au sujet de François Roberday). On déplore surtout l’absence de tracklisting détaillé et minuté, si ce n’est le programme globalisé au dos du digipack.

Dans l’ensemble, la console accrédite des registrations pertinentes, dérivées des indications de Mersenne, sur une sobre pédale en 8’ (Trompette ou Flûte). Pour l’archaïque et anonyme Kyrie, puis l’hymne de Titelouze, le jeune musicien révèle une approche massive et stricte, sans dégager de lignes de force au sein d’un équipollent canevas. L’articulation scrupuleuse confère au texte davantage de lisibilité que d’éloquence, mais suffit à ces pages. Avouons que ces besogneuses quadratures se font moins convaincantes à mesure que l’on progresse vers le Classicisme. Prudence ou intimidation, les préludes de l’oncle Couperin sont visités sous un toucher égalisateur et une solennité un peu crispée ; voire une accessoirisation superflue –ne pouvait-on se dispenser du rossignol qui vient masquer l’élan de la Flûte 4’ ? Plutôt que poser son chant, le Récit de cromorne de Nivers semble s’agacer sous guise d’ornementation. L’auditeur évitera-t-il la comparaison avec quelques éminentes références ? Le Grigny joué sévère, rectiligne et carré, d’un labeur et d’une sonorité pas toujours loin du sentencieux, manque de souplesse, de lyrisme si l’on songe à Michel Chapuis (Valois) ou Bernard Coudurier (BNL), mais peut faire penser à l’austère mysticisme, la profondeur spirituelle d’un André Isoir sur le Clicquot autrement avenant de Poitiers (Calliope). 

Esprit de géométrie et esprit de finesse : tout bien considéré, cette tribune et son officiant paraissaient mieux à l’aise dans les univoques étais de la première partie du CD. Ensuite, l’extrapolation des mêmes recettes et moyens interroge. L’équilibrage polyphonique qui était atout en amont ne devient-il une limite face à d’autres instruments et interprètes d’une projection moins cadastrée et aux séductions plus plastiques ? La légitime alternance vocale et le grondement emphatique du serpent complètent une carte de visite méritoire mais inégale, d’un intérêt mitigé, pas toujours flatteur. Pari risqué pour un authentique talent. Nanti de tels ingrédients que l’on prête à ces prémices de carrière, on aimerait aussi découvrir Quentin du Verdier sous d’autres latitudes, dans Anthoni van Noordt (c1619-1675), Abraham van den Kerckhoven (c1618-1702), ou le proto-baroque nord-allemand d’un Hieronymus Prætorius (1560-1629). Ou encore les Fugues et Caprices de François Roberday (1624-1680), lesquels mériteraient ses soins intelligents.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 7-10 – Interprétation : 6 à 9,5

Christophe Steyne

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.