Adriana Lecouvreur triomphe au Théâtre des Champs- Élysées

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Tout est romanesque dans le destin d’Adrienne Lecouvreur. Tragédienne du Siècle de Louis XV, gloire de la Comédie Française, égérie de Voltaire, ses amours avec Maurice de Saxe, héros des champs de bataille, la propulsent du monde du théâtre à celui de la Cour de Versailles sur fond de combats guerriers. Variété d’action, contrastes tragi-comiques, passions amoureuses, tous ingrédients réunis par le compositeur calabrais, Francesco Cilèa, qui lui permettent de s’émanciper de l’impasse vériste et de s’inscrire dans la grande histoire de l’opéra.

C’est pourquoi la « simple » version de concert proposée par l’Opéra de Lyon et le Théâtre des Champs-Élysées pouvait laisser dubitatif si la qualité de la distribution, de la direction et de l’orchestre n’avait attiré l’attention. Espérances comblées et dépassées par l’une des soirées lyriques les plus électrisantes de la saison.

A commencer par l’orchestre de l’Opéra national de Lyon, ses rutilants coloris, ses pupitres clairs et agiles, excellant dans la délicatesse -soli de harpe, de violon, de clarinette- comme dans les à-plats et ressacs des cordes.

A sa tête, le chef et directeur musical de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustoni, met superbement en valeur les facettes qui font de cette fresque sonore un décor « en soi », tour à tour animé, cocasse, mélancolique ou passionné.

La délicatesse du petit ballet avec chœur renforce ainsi le tragique de la tirade de Phèdre (III) tandis que la direction d’orchestre soutient chaque interprète l’incitant à libérer les affects et aller au bout de lui-même.

Le ténor américain, Brian Jagde est un maréchal de France de fière allure. Son timbre sonore et homogène, propice aux exploits guerriers (récit du combat de Courlande) comme aux intrigues passionnelles (duos impressionnants), fait vibrer jusqu’aux voûtes peintes de Maurice Denis. Il se révèle également sensible et vulnérable grâce à la maitrise d’un legato onctueux (« l’anima ho stanca »).

Tamara Wilson (Adriana) déploie à ses côtés le spectre d’une voix précise et percutante dont la vigueur s’assouplit et s’arrondit au fil de la soirée pour offrir, avec « poveri fiori » et le dernier acte, un très émouvant et superbe moment belcantiste.

Sa rivale, la Princesse de Bouillon (Clémentine Margaine), se présente comme une femme aimante et blessée, moins caricaturale que la « méchante » habituelle. Son chant capiteux aux nuances moirées jusque dans l’aigu qui a déjà conquis les plus grandes scènes lyriques, captive d’emblée.

L’homme des coulisses, Michonnet, rajeunit sous les traits du géorgien Misha Kiria. Sa stature et sa retenue drapent le vieux régisseur d’une dignité qui semble un peu insolite pour le versant bouffe du personnage, aussi bien quand il se consumme d’amour pour Adriana que lorsqu’il essaie de dompter sa troupe dissipée.

Le Prince de Bouillon (Maurizio Muraro), souverain au métier éprouvé, s’impose naturellement à côté de son ombre, l’Abbé de Chazeuil (Robert Lewis). Confit, chantourné comme il convient, ce dernier reste parfois vocalement un peu en retrait.

Le quatuor prometteur des jeunes artistes (Giulia Scopelliti, Thandiswa Mpongwana, Pete Thanapat, Léo Vermot-Desroches) a encore besoin de s’affirmer, ce que le jeu théâtral facilitera.

Quant au majordome (Yannick Berne), il s’acquitte vaillamment de sa brève intervention, à l’instar de celles des Chœurs de l’Opéra de Lyon dont il est issu.

La variété d’écriture, le jeu de styles épars fondus dans un seul élan, jusqu’à la fièvre qui crépite sans relâche, toutes les qualités du chef-d’oeuvre unique (L’Arlesiana et les pièces religieuses sont rarement jouées) de Francesco Cilèa sont ici supérieurement exprimées.

Ainsi échappe-t-il définitivement aux catégories réductrices en célèbrant à travers cette Adriana Lecouvreur plus vivante que jamais, les noces du passé, du présent et des passions humaines qui, elles, ne sont d’aucun temps.

Bénédicte Palaux Simonnet

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 5 décembre 2023

Crédits photographiques : DR

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