Oxalys : un festival qui ouvre les portes de l’aventure en musique de chambre
Pour la deuxième fois, Oxalys présente son festival. Le lieu, la Tricoterie dans le fonds de saint Gilles, est décontracté à l’instar des membres de l’ensemble dans leurs habits rougeoillants. Mais l’approche, comme l’explique Shirly Laub, une des chevilles ouvrières d’Oxalys, est sérieuse et limpide.
Dès le départ, nous avons défini notre démarche : sortir des sentiers battus en servant la discipline des ensembles de chambre. Un domaine très riche mais furieusement méconnu, tant du public que des organisateurs. On subit alors l’impression fâcheuse de mettre un temps fou à élaborer des programmes, que nous trouvons passionnants, mais que nous ne parvenons pas à programmer ! De là, l’idée d’organiser notre propre festival pour confronter le public avec nos propositions. Et bon enfant, il se laisse faire facilement et ne manque pas de montrer sa satisfaction. En fait notre rêve serait de tenir un salon, comme cela se pratiquait au tournant du 19e siècle : rester attentif à ce qui se passe, le servir et, ensuite, prendre la température. Le salon devient alors une vraie chambre d’essai comme il l’était avec « La Libre esthétique » qui bénéficiait du soutien de fortes personnalités comme Ysaÿe ou Crickboom.
Comment sélectionnez-vous les œuvres jouées ?
Pour arriver à tomber d’accord sur un programme nous lisons des tas d’œuvres (c’est un travail colossal pour le pianiste) et ensuite on choisit. Et c’est parfois dur de se dire qu’on a étudié dix œuvres pour en choisir deux ou trois. Certes, tous ces compositeurs ne sont pas des innovateurs forcenés mais on peut être d’excellents musiciens sans chercher à tour prix à refaire le monde. Beaucoup évoluent dans la mouvance de Franck et de Ysaÿe : ils étaient au cœur de la nouveauté à l’époque et ont reçu ensuite une réputation de conservateurs. L’apport capital d’un salon réside dans la confrontation des œuvres, chacune se définissant par rapport aux autres. Leur écoute permet de créer des rencontres, les musiciens réagissant l’un à l’autre. L’interprète peut alors s’exprimer dans un cadre non formaté.
C’est tout cette pratique que nous voulons insuffler à notre festival avec une thématique par jour.
Vendredi 17 octobre à 20H : Mendelssohn et Strauss. C’est le jour des cordes avec l’octuor de Mendelssohn, jouée dans sa version retouchée mais qui ne change rien à l’impétuosité du chef d’œuvre d’un jeune homme de 16 ans. Et ensuite deux œuvres tardives de Richard Strauss : le sextuor qui introduit « Capriccio », un opéra où le compositeur va s’interroger sur le rapport du texte et de la musique dans l’opéra et, surtout les Métamorphoses qui seront jouées dans leur version originale. Strauss avait commencé à écrire pour une distribution intime de septuor avec contrebasse. Quand il reçoit la commande, il comprend qu’il doit l’étoffer pour un orchestre plus important. Il comportera finalement 23 cordes. L’œuvre reflète l’immense amertume du compositeur face à un monde qui disparait. Non pas celui politique qui a causé les horreurs de la guerre mais plutôt une perception plus générale du rôle déclinant des valeurs culturelles dans un monde qui a perdu ses références humanistes. Pour Shirly Laub, le climat induit une réflexion sur soi-même qui devient intemporelle et celle-ci s’exprime avec une acuité renforcée dans la version pour sept cordes.
Samedi soir 18 octobre: le temps des jeunes et la (re)découverte de compositeurs oubliés. Le pré-concert est confié à de jeunes élèves et diplômés. Cette fois, c’est le professeur qui s’exprime. Nous constatons avec nos élèves qu’il est très compliqué pour des jeunes de s’engager dans un groupe de chambre. Ils savent que cela demande un travail terrible et que le retour du côté du public comme des organisateurs n’est pas acquis. Chez Oxalys, nous sommes presque tous enseignants. Nous avons fait le tour de nos élèves et avons sélectionné un groupe que l’aventure pourrait intéresser. On les a donc réunis et on leur a proposé de préparer la « Pavane-couleur du temps » de Frank Martin et l’« Introduction et allegro pour flûte, clarinette, deux violons, alto, violoncelle et harpe » de Maurice Ravel. Notre rôle se limite à être leurs mentors. On ne sait pas ce que donnera le résultat mais on se devait de leur mettre le pied à l’étrier.
Le concert lui-même est consacré à quatre compositeurs à redécouvrir. Le choix se veut très éclectique et nous donne un panorama de la composition telle qu’elle se manifestait en retrait des avant-gardes conquérantes.
Professeur renommé de harpe au Conservatoire de Paris, Michel Tournier a beaucoup écrit pour son instrument et s’est produit dans des concerts autour de son instrument qui feront sa célébrité. Il aimait associer son instrument à d’autres (cordes et flûte), partenaires plus habituels des ensembles de chambre. C’est tout l’esprit de sa suite op.34
Gottfried von Einem est un compositeur autrichien, moderne mais modérément. Sa renommée à l’opéra viendra de la création à Salzbourg en 1947 de sa « DantonsTod ». Son quatuor avec flûte s’inscrit dans la lignée de son travail classique en musique de chambre.
Dans l’Angleterre de la première moitié du XXe siècle, Arnold Bax occupe une position bien à lui. Il représente un bel exemple de l’expressionisme anglais : direct et engagé, il a compris la leçon de son ami Sibelius dans l’expression des sentiments. Par sa distribution instrumentale, son quatuor avec harpe sort un peu des sentiers battus.
Paul Ben-Haim est un cas à part. Ce Munichois qui a été l’assistant de Bruno Walter et de Knapperbusch et a travaillé à l’Opéra d’Augsbourg, se réclame naturellement de l’école allemande. Il doit quitter l’Allemagne en 1933 et part pour la Palestine. Il y crée un type de musique originale qui fait le lien entre son écolage germanique et les influences juives et arabes de la musique méditerranéenne. Son quintette avec clarinette est un bel exemple de la conjonction Orient-Occident de son écriture.
Dimanche 19.10 à 15H : Concert-conférence. Le musicologue Stijn Paredis présente un concert autour de « La Libre Esthétique » qui associe les « Märchenerzählungen » de Schumann et le quintette avec piano de Théo Ysaÿe avec un extrait de pages de compositeurs quasiment inconnus aujourd’huiqui ont parfois des attaches avec Verviers (Victor Vreuls et Louis Kéfer) ou plus généralement avec la Schola Cantorum à Paris (Charles Bordes et Alexis de Castillon).
Un programme qui repose fondamentalement autour du concept d’échanges entre musiciens, jeunes ou vieux comme entre compositeurs. Toute la clé du succès d’Oxalys repose sur cette démarche d’ouverture.
La Tricoterie, rue Théodore Verhaegen, 158-1060 Bruxelles. Renseignements et réservations : www.oxalys.be/fr/oxalys-festival25-26
Serge Martin
Crédits photographiques : Jasmine Van Hevel.