Pages chorales sacrées et profanes de Samuel Coleridge-Taylor

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Samuel Coleridge-Taylor (1875-1912) : Œuvres sacrées pour chœur et orgue : Te Deum Laudamus ; The Lord is my strength ; In Thee, O Lord ; Jubilate Deo ; Benedictus ; Magnificat, etc. Œuvres profanes pour chœur et orgue : Sea Drift ; By the lone Sea Shore ; Whispers of Summer ; The Evening Star ; Song of Proserpine, Viking Song, etc. Trois Courtes Pièces pour orgue. London Choral Sinfonia, direction Michael Waldron ; James Orford, orgue. 2022. Notice en anglais. Textes des psaumes et des poèmes en anglais. 91.10. 2CD CD Orchid Classics ORC100247.

Nous avons déjà rencontré le compositeur britannique d’origine africaine Samuel Coleridge-Taylor (père sierra-léonais, mère anglaise), à l’occasion d’un album consacré par Naxos à quelques-unes de ses compositions, dont l’ouverture du Songe de Hiawatha, une cantate en trois épisodes pour soli, chœur et orchestre, qui lui assura le succès à la charnière entre le XIXe et le XXe siècles. Nous renvoyons le lecteur à notre article du 6 mars 2022 pour de plus amples indications biographiques sur ce créateur mort trop jeune, à 37 ans, des suites d’une pneumonie, conséquence d’un surmenage.

Coleridge-Taylor avait étudié le violon, travaillé avec Charles Villiers Stanford, enseigné à Londres, et dirigé la London Handel Society ; il avait dirigé ses œuvres aux Etats-Unis où il avait été acclamé. Il eut aussi une activité politique antiraciste. Son catalogue couvre plusieurs domaines : orchestre, musique de scène et de chambre, pièces pour le piano, pages vocales et chorales. C’est ce dernier aspect qui est mis en évidence dans le présent album. Dans une note de présentation, Michael Waldron, le chef du London Choral Sinfonia, explique qu’en quête de renouvellement de répertoire, il s’est penché, avec le producteur Adrian Peacock, sur une série de créateurs négligés et que, très vite, l’abondante musique chorale de Coleridge-Taylor, en grande partie publiée mais très peu enregistrée, s’est imposée en raison de sa variété, de sa qualité et de sa beauté, tant dans le domaine sacré que profane. 

Le premier disque propose onze œuvres chorales, composées entre 1891 (Coleridge-Taylor n’a alors que seize ans) et 1901. Toutes inspirées par des psaumes ou des textes sacrés, une seule dépassant les six minutes, elles témoignent d’une grande ferveur religieuse, d’une belle plasticité chorale, pleine de fluidité et de transparence. Elles emmènent l’auditeur dans un univers éthéré jusqu’au mysticisme, qui correspond bien à cette fin de période victorienne. C’est le cas pour le Te Deum Laudamus initial, de vaste et sensible respiration, le texte étant tiré du Livre de la prière commune anglicane, qui glorifie les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, la gloire de Dieu et du Christ. Une même atmosphère baigne le Benedictus (même origine de texte), le Jubilate Deo (psaume 100) le Nunc Dimittis ou le Magnificat (Evangile selon Saint-Luc pour les deux). La force dramatique de By the Waters of Babylon souligne l’exil (psaume 137) ; la confiance apaise In thee, O Lord (psaume 31). Saint Matthieu vient à la rescousse pour Now late on the Sabbath Day, qui clôture cette première partie de l’album, sorte de mini-cantate aux rythmes syncopés dont la solennité est confortée par une voix soliste qui s’élève du chœur (la fine soprano Alison Ponsford-Hill). 

Le travail du London Choral Sinfonia, formé pour un concert à Cambridge en 2008, s’est prolongé. Il est depuis lors à la hauteur de sa flatteuse réputation : nourries par une chaleur commune, les voix, dirigées par le fondateur et directeur artistique MIchael Waldron, sont équilibrées, quelle que soit leur composition, et vibrent de toute leur conviction. L’instrument de l’église Saint-Jean l’Évangéliste, dans le quartier londonien d’Islington, convient bien au climat général, James Orford jouant la carte du soutien organistique avec les nuances, la discrétion ou l’éclat nécessaires. Une petite heure d’émerveillement.

Les mêmes qualités de clarté et d’investissement se retrouvent dans le deuxième disque de l’album, de plus courte durée (37 minutes seulement). Huit pages profanes, majoritairement sans accompagnement, sont le reflet de la jeune maturité de Coleridge-Taylor et témoignent de son éclectisme dans le choix des poètes qu’il met en musique, en puisant dans un large fonds lyrique. Le Sea Drift initial (1908) n’est pas à confondre avec celui de Frederick Delius, qui illustrait les vers de Walt Whitman. Ici, il s’agit de Thomas Bailey Aldrich (1836-1907), autre écrivain américain, qui évoque le désespoir d’une fille de marin attendant un signe de son fiancé pris dans une tempête. Un mini-drame dont toute la force émotionnelle est magnifiée par le chœur. Coleridge-Taylor utilise avec habileté les voix masculines et féminines ou leur mixité, comme on peut le constater de façon éclatante dans The Evening Star (1911), sur un poème de l’Ecossais Thomas Campbell (1777-1844), dans la dramatique scène nautique The Lee Shore (1911) d’après Thomas Hood (1799-1845), ou dans le triomphant Viking Song, d’après l’Irlandais David McKee Wright (1869-1928), d’abord écrit pour voix et piano, mais qui a fait l’objet de multiples arrangements dont certains démesurés (son contenu répétitif les favorisent), comme en 1926 où ce Song a été exécuté par 2500 voix ! On savourera aussi Whispers of Summer (1910) sur les vers lumineux de Kathleen Mary Easmon Simango (1891-1924), ou encore le Song of Proserpine : celle-ci implore sa mère Cérès, sur un texte de Percy Bysshe Shelley (1792-1822), de ne plus exercer son influence sur elle. Coleridge-Taylor sait choisir ses poètes et en tirer une substance lyrique très séduisante. 

Tout cela ravira les amateurs de musique chorale ; on sait que c’est un domaine dans lequel les Anglais sont passés maîtres, tant en termes de composition que d’interprétation. On en a ici un exemple de plus. L’impeccable organiste James Orford, qui sert si bien les moments sacrés, à l'occasion de faire la démonstration de ses qualités de soliste dans les Trois Courtes Pièces (Arietta, Elegy et Melody) qui datent de l’année de Hiawatha et sont disséminées parmi les pages chorales. Coleridge-Taylor était un admirateur de Dvořák. Dans l’Arietta, il s’en souvient par le biais d’une souple approche mélodique. Un album délectable !

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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