Peter Vanhove en compagnie de Gounod, avec Alkan, Fauré, Séverac et Bizet
« Gounod & Compagnie » - Charles Gounod (1818-1893) : Six Romances sans paroles ; La Veneziana (Barcarolle) en sol mineur ; Sérénade en fa majeur ; Le ciel a visité la terre ; Prélude en ut mineur ; Impromptu en sol majeur ; Dodelinette (Berceuse) en sol majeur ; Nocturne (Souvenance) en mi bémol majeur ; Méditation sur le 1er Prélude de J.S. Bach (Ave Maria). Charles-Valentin Alkan (1813-1888) : Barcarolle en sol mineur ; Promenade sur l’eau ; Nocturne en si majeur ; Sérénade en fa dièse mineur ; Le temps qui n’est plus. Gabriel Fauré (1845-1924) : Capriccio en mi bémol majeur ; Barcarolle No. 4 en la bémol majeur ; Romance sans paroles Op. 17 No. 3. Déodat de Séverac (1872-1921) : Valse romantique ; Invocation à Schumann ; Où l’on entend une vieille boîte à musique ; Baigneuses au soleil. Georges Bizet (1838-1875) : L’aurore ; Les Confidences ; Sérénade ; Romance sans paroles ; Chanson d’Avril ; Extase. Peter Vanhove, piano. 2020. 54:38 + 57:47. Livret en néerlandais, en français et en anglais. 2 CD Pavane ADW7595.
Le nom de Charles Gounod évoque bien davantage la musique sacrée (Requiem, Messe solennelle en l'honneur de sainte Cécile), et plus encore l’opéra (Faust, Roméo et Juliette, Mireille), que des pièces pour piano seul. Il n’a pas droit à une seule entrée dans les plus de 2000 œuvres analysées dans le Guide de la musique de piano et de clavecin (collection Les Indispensables de la Musique chez Fayard), ni même dans les 272 compositeurs recensés dans le monumental dictionnaire La musique de piano de Guy Sacre (collection Bouquins chez Robert Laffont). C’était donc une excellente idée de la part de Peter Vanhove que de lui rendre cet hommage, et de le mettre en « compagnie » d’autres compositeurs contemporains ou plus tardifs, sur lesquels il eut quelque influence. Ce double CD nous propose ainsi 32 courtes pièces de Gounod, Alkan, Fauré, Séverac et Bizet.
Le premier CD commence par ses Six Romances sans paroles. Ce sont des pièces tout à fait agréables, qui ne s’éloignent que très rarement d’une ambiance feutrée et confortable. Peter Vanhove les joue avec toute la sensibilité requise, sans du tout chercher à en gommer l’aspect sentimental. Il trouve cependant de jolies couleurs, que ne dénaturent pas quelques petites imperfections techniques (les trilles notamment).
Ce n’est pas avec les trois pièces de Charles-Valentin Alkan qui suivent que nous changeons radicalement d’ambiance. Et quand il y a de petites surprises, elles ne sont malheureusement pas mises en valeur par l’interprète qui semble privilégier les intentions musicales plus attendues.
C’est Gabriel Fauré qui nous fait tendre l’oreille, avec son Capriccio, sa Barcarolle et sa Romance sans paroles, plus inspirés que ce qui précède. Là encore, si l’interprétation de Peter Vanhove ne démérite pas, il faudrait toute la science des palettes d’un coloriste pour leur rendre pleinement justice et en éclairer les complexités harmoniques.
Ce premier CD se termine avec quatre pièces de Déodat de Séverac, toutes écrites au moins un quart de siècle après la mort de Gounod. Elles ont quelque chose de populaire, de naïf, d’enfantin, dont Peter Vanhove s’empare joliment, même si, cette fois, ce serait plutôt la science de la mise au point d’un photographe qu’il faudrait, pour attirer notre attention sur ce qui ne saute pas spontanément aux oreilles.
Le second CD commence comme le premier, avec des pièces de Gounod puis d’Alkan, avant un retour à Gounod. On y retrouve les mêmes caractéristiques. À signaler que la dernière pièce de cette série est la version originale, pour piano seul, de ce qui est devenu le célèbre Ave Maria, mais qui s’appelait au départ Méditation sur le 1er Prélude de J.S. Bach (le tellement fameux du Premier Livre du Clavier bien tempéré). S’il est souvent bon de revenir aux sources de ces œuvres que l’on entend à toutes les sauces, il faut avouer dans ce cas particulier que si certains mets ainsi réalisés sont appétissants, la recette initiale, malgré le sublime ingrédient de Bach, peut paraître assez prétentieuse, précisément parce que Gounod sert sa création dans le même plat de présentation (un piano), ajoutant une garniture onctueuse qui fait passer le Prélude initial pour un simple accompagnement.
Nous quittons cet univers avec six pièces de Georges Bizet. Elles n’ajoutent malheureusement rien à la gloire du compositeur, qui s’est montré bien plus inspiré dans sa juvénile Symphonie en ut, et bien sûr dans ses opéras, et notamment dans celui qui est actuellement le plus joué au monde : Carmen.
Peter Vanhove lui avait déjà consacré tout un album en 2006 (avec quelques premières mondiales), et ces six pièces en faisaient déjà partie. Bien que la pochette ne parle ici que d’enregistrements réalisés en 2020, il semble bien qu’il s’agisse d’une reprise de ceux de 2006, car ils se ressemblent fort, avec des minutages identiques à la seconde près. Si la différence de son n’est heureusement pas flagrante entre les deux prises, qui seraient donc séparées par 14 années, c’est sans doute qu’ils eurent lieu au même endroit (Grande Salle du Conservatoire de Bruxelles), sur un instrument de même modèle (Steinway D), avec un même ingénieur du son (Yannick Willox). Par ailleurs, étonnamment le texte de présentation consacre au moins un paragraphe à chaque compositeur... sauf à Bizet. Une explication serait que Bizet n’était pas prévu au départ, mais que la durée des pièces enregistrées dépasse les possibilités d’un seul CD, sans toutefois être suffisante pour un second. Il aurait alors été décidé de piocher dans l’album Bizet pour avoir deux CD raisonnablement remplis, sans pour autant mettre à jour le livret. À moins que les choses ne se soient passées autrement, il y aurait donc là une certaine légèreté éditoriale.
Un double album que l’on imagine difficilement écouter avec la plus grande attention, en espérant vivre des émotions fortes et durables. Mais au coin du feu, en rêvassant, il peut avoir son attrait.
Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 7 – Interprétation : 7
Pierre Carrive