Portrait musical du Grec Petros Petridis : austérité et néoclassicisme

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Petros Petridis (1892-1977) : Requiem pour l’Empereur Constantin Paléologue ; Symphonie n° 3 en ré mineur « Parisienne » ; Concerto grosso pour vents et timbales op. 11. Sophia Kyanidou, soprano ; Theodora Baka, mezzo-soprano ; Angelo Simos, ténor ; Christoforos Stamboglis, basse ; Golden Voices of Ruse ; Sofia Metropolitan Golden Voices ; Sofia Amadeus Orchestra ; Nikolaos Mantzaros Wind Ensemble, direction Byron Fidetzis. 1989 et 2006. Notice en anglais et en grec. 129.18. Un album de deux CD Naxos 8.574354-55. 

Né à Thessalonique, Byron Fidetzis (°1945), chef permanent de l’Orchestre National d’Athènes, a étudié à Vienne le violoncelle avec André Navarra et la direction d’orchestre avec Hans Swarowsky, avant de suivre des cours auprès de Miltiades Caridis dans la capitale autrichienne et d’Otmar Suitner à Weimar. Spécialiste de la musique grecque, il a déjà enregistré notamment, pour le label BIS, des pages de Nikos Skalkottas (notre article du 26 mars 2020), ou, sous étiquette Naxos, des oeuvres de Manolis Kalomiris, Spýros Samáras et Vasily Kalafati (pour ce dernier, voir notre texte du 30 août 2020). Cette fois, c’est à Petros Petridis, Grec d’origine turque né en Cappadoce, qu’il consacre un portrait significatif à travers trois partitions du répertoire de ce compositeur qui s’est partagé, au cours de son existence, entre Athènes et Paris, où l’on retrouve sa trace tout au long de six décennies. 

Après des études à Constantinople, puis au prestigieux American Robert College d’Istanbul, Petros Petridis participe à la première guerre balkanique avant d’adopter la nationalité grecque en 1913. Il se rend à Paris, où il approfondit le droit et les sciences politiques, et travaille aussi, sur le plan musical, avec Albert Wolff et Albert Roussel. Il compose et écrit régulièrement de la critique pour une série de revues internationales. Son catalogue est riche d’une abondante production orchestrale dont cinq symphonies, de musique de scène dont un opéra, et de musique de chambre et vocale dont des mélodies et l’oratorio Saint Paul en 1951. Cet album s’ouvre avec son Requiem pour l’Empereur Constantin Paléologue, dont la gestation s’étend sur la période 1953 à 1964, vaste fresque d’une durée de près de 80 minutes. La notice, signée par Byron Fidetzis lui-même et à laquelle nous nous référons, précise que ce Requiem est dédié à la mémoire et au destin tragique du dernier empereur de Byzance, Constantin XI Paléologue, qui vécut de 1405 à 1453. Cette figure symbolique de la période hellénistique mourut face aux Turcs sur les murs de Constantinople, lors de la bataille qui marqua l’extrême fin de l’Empire romain, ce qui lui assura une postérité quasi mystique. 

Le célèbre écrivain Nikos Kazantzakis (1883-1957) avait travaillé sur le sujet et avait écrit en 1953, à l’occasion du cinq-centième anniversaire de la disparition de Constantin XI, une pièce en vers dont il proposa le texte au compositeur Manolis Kalomiris qui en fit un opéra en trois actes, créé en 1962. Petros Petridis s’intéressa aussi à cette commémoration. Ce presque autodidacte musical avait créé un système à partir de ses études sur le contrepoint de la Renaissance et de la période baroque, surtout de Bach, avec un langage polyphonique se référant au chant médiéval byzantin. Cela donne une musique foisonnante, dans laquelle les chœurs occupent une place importante dans un contexte qui recèle une part d’austérité, grandiloquente et ostentatoire. Les interventions des solistes s’insèrent et s’entrelacent dans ce vaste projet qui est aussi, comme le précise Fidetzis, un hommage à l’Archevêque d’Athènes et de toute la Grèce Spyridon (1873-1956), figure religieuse très respectée. Petridis utilise des textes orthodoxes et catholiques pour magnifier cette partition d’essence historico-religieuse qui est aussi très sombrement dramatique (le Dies irae) et souvent ascétique. Hélas, la prise de son, réalisée en janvier et juillet 2006, à Sofia, dans le Bulgaria Hall, manque d’aération et accentue un effet de masse parfois brouillon qui entraîne des longueurs à l’audition et ne met pas vraiment les solistes du chant en valeur, en particulier les voix féminines, menacées de saturation.   

Le programme est complété par la Symphonie n° 3 que Petridis entama à Athènes en 1944 et acheva à Londres l’année suivante. La création en fut donnée à Genève en 1949. À une formation orchestrale qui consiste en un piccolo, deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, quatre cors, deux trompettes et les timbales, viennent s’ajouter les cordes. Sous-titrée « Parisienne », cette partition épurée montre l’influence exercée par le néo-classicisme français de l’entre-deux-guerres et représente un hommage au pays que Petridis considérait comme sa seconde patrie. En quatre mouvements, elle fait étalage d’une fraîcheur mélodique, d’une expressivité qui peut se révéler passionnée (le vaste Largo) et d’un élan qui combine la légèreté à la joie de vivre. La prise de son a été effectuée à la même période que le Requiem.

Quant au Concerto grosso pour vents et timbales, composé en 1929 (enregistré dans un studio athénien en 1989 et paru alors sous étiquette du rare label athénien Lyra ML 0062), il respecte la structure vif-lent-vif et est orchestré pour deux ensembles dont l’un est constitué par des instruments solistes (flûte, hautbois ou cor anglais, clarinette et trompette). Au cours des années 1920, Petridis entama ce qu’il tentera tout au long de son activité créatrice, à savoir la combinaison d’un langage musical hellénique avec les traditions de la musique populaire de sa Cappadoce d’origine, le tout baigné dans une atmosphère impressionniste colorée qui l’a influencé à Paris. L’œuvre s’écoute avec plaisir, avec des interventions solistes soignées, servies par une prise de son plus claire que celle qui étouffe souvent le Requiem

Byron Fidetzis, qui a restauré et publié les partitions de Petridis, signe les premières gravures mondiales du Requiem et de la Symphonie et documente ainsi la musique grecque du XXe siècle. On respectera son investissement dans un programme au bilan mitigé, qui s’adresse avant tout au public de son pays, mais qui peut intéresser ceux qui aiment sortir des sentiers battus. Précisons toutefois que dans le contexte hellénistique, des compositeurs comme Skalkottas ou Kalafati, pour ne citer qu’eux, nous paraissent prioritaires.

Son : 6 (Requiem et Symphonie) ; 8 (Concerto grosso)  Notice : 9  Répertoire : 7  Interprétation : 8

Jean Lacroix   

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