Martin Suckling : un sens très personnel de l’alliance entre couleurs et rigueur

par

Martin Suckling (1981 -) : This Departing Landscape. Katherine Bryan, Tamara Stefanovich, BBC Scottish Symphony Orchestra, BBC Philharmonic, Ilan Volkov. 76’57 – 2021 – Livret en : anglais. NMC Recordings. NMC D262.

Au centre de ce disque trône l’acharné deuxième mouvement du Concerto pour Piano de Martin Suckling, Intermezzo I - Implacable, qui porte son titre bien mieux qu’un béret basque sur une tête à chapeau : la volée est magistrale, dans un jeu primordial et impérieux – ou cruel et impitoyable selon la façon de le recevoir. SI l’on peut penser que Tamara Stefanovich (elle est née à Belgrade en Serbie) a bien de la chance d’avoir sous les yeux une telle partition, créative et intrépide, elle la sert avec une inflexible efficacité, au frappé étincelant (écoutez le premier mouvement, Vigorous) et Suckling peut difficilement envisager de voir son Concerto en de meilleures mains : écrit en 2016, fait de cinq parties aux divergences aussi déconcertantes que cohérentes, il a bien failli être sous-titré And this was how it started, en référence au poème de son compatriote écossais Niall Campbell, tant l’idée du soliste débordant de vie et entraînant l’orchestre est parallèle à la prolifération du texte – dans lequel un chanteur est mis au défi de chanter mille chansons. Intermezzo II - Luminous témoigne de l’exploration de la microtonalité par un compositeur par ailleurs redevable à la musique spectrale et bercé de la tradition de son pays – adolescent, il joue du fiddle dans les ceilidhs, bals de de musique et danse folkloriques écossaises organisés lors de mariages ou anniversaires.

La microtonalité, encore, est présente dans The White Road, pièce née d’une promesse d’ado à la flûtiste Katherine Bryan (fidèle à son engagement, Suckling le concrétise en 2017, soit vingt ans plus tard) : à la mélodie de l’instrument soliste répond l’accord microtonal de l’orchestre, qui s’étoffe, encore et encore ; alors que Release célèbre à sa manière la libération, le lâcher prise, au travers de trois parties où le matériau musical de départ se fait en quelque sorte dépasser par ce mouvement d’émancipation sonore (la pièce est captée live au Volkov’s 2013 Tectonics Festival de Glasgow).

Suckling pousse l’idée de délivrance un pas plus loin dans This Departing Landscape, sa pièce orchestrale la plus récente (2019), qui donne son titre à ce disque qui paraît dans la collection Debut Discs de NMC Recordings (qui propose des portraits de compositeurs à un public plus large) et s’inspire des mots de Morton Feldman, signifiant à quel point la musique nous échappe alors même que nous l’écoutons : elle nous dépasse, mue par une énergie, celle de l’orchestre et sa propre force, ses changements de matériau, ses ruptures d’attente, sa vitesse, sa force, sa hauteur, son rythme – et Suckling enchaîne deux mouvements, le premier fait de fragments tranchants, erratiques et irréguliers, le second lent et lourd, à la froideur proche du zéro absolu et en transformation infinie, sauf qu’à la fin, ça coupe.

Son : 8 – Livret : 6 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

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