Premier volume d’une intégrale des symphonies de Bruckner transcrites à l’orgue

par

Anton Bruckner (1824-1896) : Ouverture en sol mineur WAB 98 ; Symphonie en ré mineur « nullte » WAB 100. Philipp Maintz (*1977) : Choralvorspiel LI. Hansjörg Albrecht, orgue de l’abbaye de Saint-Florian (Autriche). Mai 2020. Livret en allemand, anglais. TT 62’32. OEHMS Classics OC476

L’orgue accompagna Bruckner tout au long de sa vie, dès sa onzième année, à Hörsching. On le trouve déjà à la console de l’abbaye St. Florian en 1848 (où il sera inhumé) dont il fait élargir la disposition de 59 à 78 jeux, en 1873. Il officiera à Linz, Vienne, donnera des concerts à Notre-Dame de Paris et Nancy (1869), au Crystal Palace et au Royal Albert Hall de Londres (1871), en Suisse (1880). Bien avant de briller comme symphoniste, il se fit admirer comme  improvisateur mais ne laissa qu’une poignée d’œuvres pour les tuyaux, brèves, dans le genre du Prélude, du Postlude, du Prélude, de la Fugue, –environ vingt-cinq minutes pour l’ensemble !

Frustrant, au point d’inciter les organistes à s’emparer du massif orchestral, adapté à leur instrument, ce que légitime le livret du CD : « non les connexions spirituelles ou musicales entre la production symphonique et l’orgue justifient d’entreprendre une tâche si imposante, mais simplement le plaisir qui résulte d’entendre ses œuvres les mieux connues (et d’autres moins) sous un nouvel aspect. Si nous pouvons obtenir de nouveaux regards et perspectives pour considérer l’original pour orchestre, alors tant mieux ».

À l’horizon du bicentenaire de 2024, le label prévoit ainsi une intégrale des symphonies, envisagée sur dix orgues représentatifs ! Quel séduisant et inédit projet ! Qu’il aurait été peut-être moins risqué d’aborder par un opus notoire, tel la Neuvième. Mais a priori le parcours sera chronologique, puisque voici cette « Nullte » répudiée par le compositeur et qui ne sera entendue intégralement qu’en 1924, à Klosterneuburg, soixante ans après sa gestation. Il semble ainsi que le parcours évince la symphonie en fa mineur WAB 99 (la « 00 »), que Rudolf Innig a gravée l’an dernier chez MDG, sur le Goll de la Marktkirche de Hanovre, couplée avec l’Ouverture en sol mineur dans sa propre transcription que nous retrouvons sur le présent disque. Elle date aussi du début des années 1860.

Outre sa brillante carrière de chef et concertiste, Hansjörg Albrecht est réputé pour ses nombreux enregistrements de transcriptions (Faust-Symphonie de Liszt, Wagner, Fantastique de Berlioz, Planets de Holst, Tableaux d’une Exposition de Moussorgski…) et l’on se réjouit que cette entreprise brucknérienne soit confiée à un musicien habitué à assurer le relais entre les partitions d’orchestre et les tuyaux. Il sait faire passer la rampe à cette Nullte transcrite par Edwin Horn, et qui connait ici son apparition dans la discographie. Sur cet emblématique orgue de St. Florian, connu pour sa suavité, épanouie dans une acoustique généreuse voire encombrante, l’intelligibilité n’est pas acquise d’emblée. Or le phrasé précis, délicat et ciselé, profite des tentures cossues du lieu (quels fonds !) sans surcharger la palette. Incorporant les anches là où il convient d’éclairer ou sanctifier, et veillant à une articulation nette. Les crescendos sont bien amenés, sans pompiérisme. Dardés sur les claviers qui se prêtent le mieux à la stratification des plans, les staccatos, les mordants agissent comme autant de balises qui font progresser le discours. Nécessaire mobilité sans laquelle le propos peut se gondoler, ou ployer sous sa masse. Rien à craindre ici : tant le relief d’ensemble que la mécanique, le résultat convainc. L’organiste allemand maîtrise les atouts et les pièges de la mythique console, et en optimise le potentiel. La mobilité de l’Allegro, finement engrené, la ferveur de l’Andante, les étranges postures belcantistes du Scherzo (ces roucoulades hérissées de menaçants rictus), tout cela nous est adéquatement communiqué. Les ressources de registration relancent efficacement les étapes du Finale, que Hansjörg Albrecht sait unifier et dramatiser. Au demeurant, pour cette symphonie d’étude qui se serait satisfait d’un plus modeste apparat, on a l’impression que l’instrument est un peu surdimensionné et opulent : on aurait préféré l’entendre dans les maillons du cycle qui justifient de recourir au « monstre sacré », et ce gaspillage (relatif) nous dissuade d’accorder une évaluation maximale.

En tout cas, on ne citera pas ces interprétations falotes ou boursouflées qui se sont cassé les dents sur le difficile exercice de faire sonner les transcriptions brucknériennes, et on mesure d’autant mieux la réussite de ce premier jalon, qui plaide pour la poursuite du projet. On nous annonce que chaque volet de cette intégrale intégrera une page contemporaine. Ici un choral de Philipp Maintz empruntant à deux Kyrie de Bruckner, dont celui de la Messe en fa mineur.

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

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