Quelques sonates pour piano

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Heureux pianistes dont le répertoire est sans cesse revisité par les éditeurs d’urtext. Pas une note qui leur échappe, pas une parcelle de manuscrit ou d’édition originale qui ne soit passée au crible. Et comme on en redécouvre régulièrement, les nouvelles éditions fleurissent. Mais une question me taraude néanmoins, bien qu’étant moi-même à l’affut du moindre détail qui rapprocherait encore davantage l’interprète du compositeur : qu’en pense l’auditeur ? peut-il vraiment apprécier ces rectifications qui relèvent souvent du détail ? 

Ptêt ben qu’oui, ptêt ben qu’non, auraient répondu mes ancêtres les Normands (je ne sais pas s’il y avait un barde parmi eux). Parfois, c’est perceptible, parfois c’est invisible. Certains interprètes, fervents défenseurs de ces nouvelles éditions, s’amuseraient-ils à insister un peu trop sur les variantes et corrections ? Loin de moi une telle idée. Mais le côté invisible n’est pas toujours inodore et sans saveur, car certaines corrections ouvrent les yeux et peuvent modifier l’approche globale. Un seul exemple, les fameux points sur les notes qui ont transformé le jeu beethovénien et schubertien. 

Chopin est un puits sans fond pour les musicologues, tant il corrigeait ses éditions en faisant travailler ses élèves. La multiplicité des sources relève parfois du calvaire. On connaît les variantes des différentes valses. Ici, pas de problème, notre auditeur lambda ne pourra pas les rater. Ailleurs, c’est moins évident. Deux éditions récentes de la Sonate en si mineur (la troisième, op. 58) en apportent la preuve. Comme souvent à l’époque, Chopin la fit éditer simultanément à Paris, à Leipzig et à Londres. Mais, compte tenu de l’éloignement, il ne vérifia les épreuves que de l’édition parisienne. C’est pourtant celle de Breitkopf qui allait devenir la source de toutes les éditions ultérieures. Jusqu’à ce que Paul Badura-Skoda mène campagne pour restituer les ultimes volontés de Chopin. Approche concrétisée dans la nouvelle édition Bärenreiter qui intègre à la source Breitkopf les modifications apportées par Chopin. L’édition que propose Henle relève d’un autre choix : Norbert Müllemann considère qu’il serait trop compliqué de superposer les deux sources qui sont proposées séparément dans le même volume. Nul doute que les pianistes vont se précipiter sur ces éditions. Mais laquelle choisir ? Face à un choix si cornélien, une seule réponse : les deux mon général. 

Bärenreiter a terminé la publication en volumes séparés de la nouvelle édition des sonates de Schubert avec le deuxième d’entre eux, consacré aux sonates de la période médiane. Avec Schubert, le problème vient de la lecture du manuscrit, quand il nous est parvenu. Walburga Litschauer, qui préside aux destinées de la Neue Schubert-Ausgabe, s’est livrée à un décryptage des pattes de mouches schubertiennes, notamment pour la distinction entre les accents et les signes diminuendo. Et il est vrai qu’un coup de stylo trop généreux peut semer le trouble. Ceci, encore une fois, lorsque le manuscrit est accessible. Donc, double démarche avec approche analogique lorsque l’édition originale est la seule source fiable. 

Henle, de son côté, publie les sonates les unes après les autres, celle en la mineur, D 784, étant la dernière-née, dans une édition d’Andrea-Lindmayr-Brandl. Le manuscrit étant disponible, on en revient à la procédure de décryptage que je viens de décrire. Les doigtés ajoutés sont dus à Martin Helmchen. On lira avec curiosité le cheminement suivi par le manuscrit avant d’atterrir à la Bibliothèque de l’Université de Lund.

Prokofiev pose moins de problèmes. Pour sa Septième Sonate, op. 83, on possède le manuscrit et on sait que Prokofiev avait apporté des modifications à la copie destinée au graveur, modifications qui figurent dans la première édition. Les divergences entre les deux sources sont donc documentées. Depuis que la musique de Prokofiev est tombée dans le domaine public, Henle publie en urtext ses œuvres phares. Mais attention, je me dois de signaler qu’en France, Prokofiev est encore protégé pendant sept ans pour ses œuvres postérieures à 1920, et davantage pour les premières. Donc… 

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