Les trois derniers Quatuors op. 33 de Haydn par les Chiaroscuro tiennent leurs promesses
Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuors à cordes op. 33, « Russes », n° 4 en si bémol majeur, n° 5 en sol majeur et n° 6 en ré majeur. Quatuor Chiaroscuro. 2024. Notice en anglais, en allemand et en français. 57’ 22’’. BIS-2608.
En octobre 2021, le Quatuor Chiaroscuro, fondé en 2005, enregistrait pour le label BIS les trois premiers quatuors de l’opus 33 de Haydn. En présentant cet album, nous avions fait part de notre plaisir face à la remarquable prestation des musiciens et nous appelions à l’enregistrement des trois autres numéros du cycle, dans le plus court délai possible. Les interprètes ont malgré tout pris leur temps, puisque près de trois ans ont passé entre leur première approche et celle qui nous parvient aujourd’hui. C’est en effet en août 2024 que la prise de son, lumineuse, des compléments a été effectuée, comme la fois passée, dans la Salle de la Menuhin School de Stoke d’Abernon, dans le Surrey. On sort de l’audition avec la même sensation de bonheur. Cette fois, le Quatuor Chiaruscoro est exclusivement féminin : la violoniste Charlotte Saluste-Bridoux, ex-membre du Quatuor Confluence, a remplacé récemment Pablo Hernán Benedí aux côtés d’Alina Ibragimova. L’alto et le violoncelle sont toujours dans les mains d’Emilie Hörnlund et de Claire Thirion.
Rappelons que lorsqu’il compose en 1781 son opus 33, qui aura une influence sur Mozart, Haydn ne s’est plus consacré au genre depuis dix ans. Il va connaître un succès européen avec ces nouveautés dynamiques, bondissantes et virtuoses. Appelés « Gli Scherzi » dans d’anciennes éditions, ces quatuors sont ici surnommés « russes » car Haydn a dédié l’ensemble au futur tsar de Russie Paul Ier, pour lequel le premier numéro de la série a été joué, à la Noël 1781, dans l’appartement viennois de celui qui était encore grand-duc. Les Chiaroscuro utilisent des instruments sur cordes de boyau et confèrent à leur approche une vie intense, où la fraîcheur et les contrastes sont au premier plan.
Dans le premier mouvement du Quatuor n° 4, le caractère chantant, proche de Mozart, comme le souligne avec opportunité la notice de Richard Wigmore, précède un Scherzo d’une belle élégance, avant un Largo épanoui et un brillant Presto qui se termine par des pizzicatos d’une légèreté libérée. Le Quatuor n° 5 pourrait avoir été composé le premier, des copies manuscrites de l’abbaye autrichienne de Melk et une édition publiée tendant à accréditer cette hypothèse. Son Vivace assai initial, qui débute pianissimo, va se révéler des plus dynamiques, avant le Largo e cantabile, au sein duquel le premier violon évoquerait une héroïne d’opéra tragique, plus précisément de Gluck. Le Scherzo est spontané dans sa vive fantaisie ; l’Allegretto final prend une allure de sicilienne, décorative et chantante elle aussi. L’expressivité mêlée à une forme de joie débordante du Vivace assai qui ouvre le sixième quatuor aiguillonnera Mozart lorsqu’il écrira son Quatuor K 458 « La Chasse » ; le bel Andante, le bref Scherzo aux élans rythmés et l’Allegretto final, avec sa double variation et son côté rustique, clôturent ce cycle de l’opus 33 dans un climat de subtile énergie.
La nouvelle équipe des Chiaroscuro mérite les mêmes éloges que ceux accordés pour la première moitié de ce cycle ; la complicité se révèle toujours aussi éloquente. La riche discographie, où sont installés les Panocha, les Tatraï, les Borodine, les Mosaïques, pour ne citer qu’eux, voit s’installer à leurs côtés cette gravure aux accents nobles et élégants. Après les opus 20 et 76 de Haydn, déjà visités, cet opus 33 fait espérer que les Chiaroscuro iront encore puiser d’autres merveilles dans l’univers si passionnant de Haydn.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix
Chronique réalisée sur la base de l’édition SACD.