Retour de Václav Smetáček dans trois œuvres sacrées de  Dvořák : un témoignage historique

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Antonín Dvořák (1841-1904) : Messe en ré majeur pour solistes, chœur, orgue et orchestre Op. 86 ; Chants bibliques pour voix et orchestre Op. 99 ; Te Deum pour solistes, chœur et orchestre Op. 103. Marcela Machotková, soprano. Stanislava Škatulová, contralto. Oldřich Lindauer, ténor. Dalibor Jedlička, basse. Jindřich Jindrák, baryton. Maria Helenita Olivares, soprano. Gianni Maffeo, baryton. Chœur Philharmonique Tchèque, Josef Veselka. Orchestre symphonique de Prague, Václav Smetáček. Livret en anglais, allemand, tchèque (les paroles ne sont pas reproduites). Novembre 1969, mars-avril 1970, réédition 2023. 72’33''. Supraphon SU 4314-2

Supraphon réédite ici le programme d’un vinyle déjà reparu en CD en 1993 avec une présentation des œuvres alors moins fouillée que le présent texte de Vlasta Reitterová, mais qui comptait un livret traduit en français, avec paroles, et une notice biographique des interprètes. Trois partitions tirées du répertoire sacré de Dvorák, moins connues que son Requiem ou son Stabat Mater, mais combien dignes d’intérêt.

Œuvre « de foi, d'espoir et d'amour pour le Dieu tout-puissant », la Messe en ré majeur fut commandée par le grand architecte Josef Hlávka pour la consécration de la chapelle qu'il avait fait construire en son château de Lužany. Le 11 septembre 1887 s'y créa la version originale, conçue pour quatre voix, petit chœur et accompagnement d'orgue. C'est dans cette parure qu’elle fut enregistrée par Simon Preston en avril 1974 à Oxford pour Argo (interprétation émouvante grâce aux choristes de la Christ Church Cathedral même si la justesse des jeunes sopranistes et des altus semblait parfois vacillante) et Lubomír Mátl en janvier 1988 pour Supraphon. À la demande de son éditeur londonien Novello, Dvorák orchestra sa partition, telle que nous l'entendons ici magnifiée en novembre 1969. Par la pureté et la justesse de son intonation, par la cohérence de ses pupitres forgée par Josef Veselka, le Chœur Philharmonique Tchèque quintessencie l'expression radieuse de cette messe immédiatement communicative. Le quatuor vocal (Marcela Machotková, Stanislava Škatulová, Oldřich Lindauer, Dalibor Jedlička) est à l’avenant de ce témoignage où souffle le génie de l’authenticité.

Les deux autres œuvres datent de la période américaine. C’est aux États-Unis que le compositeur écrivit en 1894 les dix Biblické Písne, pour voix et piano, après avoir appris le décès de son père et de Tchaïkovski. Il orchestra les cinq premiers. C’est sous cette forme que ces psaumes furent présentés au Rudolfinum de Prague en janvier 1896, et qu’ils sont ici chantés par le baryton Jindrich Jindrák. En 1892, Dvorák fut invité à prendre la direction du Conservatoire National à New York, et se vit commander une cantate pour commémorer le quatre centième anniversaire de la découverte du nouveau continent par Christophe Colomb. Le texte du poète Joseph Rodman Drake lui parvint trop tard et fut recyclé dans Le Drapeau américain. Pressé par l’échéance, Dvorák se rabattit sur l’hymne ambrosienne, et ce Te Deum fut acclamé au Carnegie Hall… quelques jours après les festivités de commémoration. Une page de circonstance, parfois un brin emphatique et empruntée (le pilonnage introductif de timbales) mais fervente.

Elle connut le même succès lors de sa création sur son sol natal, à Olomouc en avril 1898. Au long du XXe siècle, ce solennel opus semble avoir conservé une dimension symbolique pour le peuple tchèque : il fut célébré en la Cathédrale Saint Guy à l'occasion du changement de régime amorcé par le Président Václav Havel en 1989. Václav Smetácek en anime ici une interprétation intense mais sobre et astringente, dignifiant les recueillements et resserrant les éclats pompeux. Solistes parfaits (Maria Helenita Olivares, Gianni Maffeo) et un chœur ardent, dans son arbre généalogique. Cordes affutées, souffleurs délicatement pigmentés (hautbois, clarinettes), cuivres secs : on ne trouvera pas plus idiomatique dans une discographie qui de toute façon compte peu d’alternatives (Lubomír Mátl chez le même label, Robert Shaw chez Telarc, Valéry Polyansky chez Chandos).

Comme souvent dans les bandes Supraphon de l’époque, et malgré le remastering effectué en 2015 qui les a nettoyées, l’image sonore reste plate et terne, écourtée aux extrémités du spectre. Mais on ne peut que se réjouir de ces documents désormais historiques, sous la baguette d’un maestro réputé pour sa droiture et son style académique au meilleur sens du terme, qui dirigea le Symphonique de Prague dès 1936 puis en tant que chef principal durant trois décennies (1942-1972). Pour l’anecdote, mentionnons qu’il réalisa le tout premier enregistrement numérique sur le sol tchèque, en 1980 avec la prestigieuse Česká Filharmonie : Ma Patrie de Smetana, bien sûr.

Son : 7 – Livret : 7,5 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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