Rhabillage des Suites de Guilain par André Isoir, en alternance d’un grisant plain-chant

par

Jean Adam Guilain (c1680-c1739) : Quatre Suites pour le Magnificat. Versets chantés en alternance. André Isoir, orgue de l’abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache. Les Demoiselles de Saint-Cyr, Emmanuel Mandrin. Septembre 1997, rééd. 2023. Livret en français et anglais. TT 61’32. Radio France, Tempéraments TEM 316072.

La laconique biographie de Jean Adam Guillaume Freinsberg, dit « Guilain », nous rappelle que ce contemporain de J.S. Bach, comme lui d’origine allemande, arriva à Paris au tout début du XVIIIe siècle et y travailla auprès de Louis Marchand. Dédié à son maître, son livre de Magnificat sur les huit tons de l'Eglise (seuls quatre nous sont aujourd’hui connus) suffit à sa postérité au sein du répertoire à tuyaux d’Ancien-régime. La discographie de ces quatre cycles compte une dizaine de versions, depuis Marie-Claire Alain à Belfort voilà une cinquantaine d’années. La décennie 1970 engrangea aussi les témoignages d’Arlette Heudron-Fernandez à Saintes (Emi), Wolfgang Rübsam à Marienstatt (Spectrum), Jean-Luc Jaquenod à Taizé (Harmonia Mundi). Suivirent Christophe Mantoux à Grenoble (Adda), Erik Feller à Cintegabelle (Arion). Parmi les interprètes qui abordèrent trois Suites, on citera François Espinasse à Ottobeuren (RCA), Bernard Coudurier à Albi (BNL), et Albert Bolliger chez Sinus, certes partagé entre Saint-Pons-de-Thomières, Ebersmunster et Saint Pierre de Poitiers.

Le présent album réédite une des visions marquantes du catalogue, réalisée il y a quelque vingt-cinq ans déjà, et depuis longtemps difficilement trouvable, malgré une exhumation très partielle (uniquement la première Suite) dans un coffret anthologique Les maîtres de l'orgue français : De Louis XIII à la Monarchie de Juillet. André Isoir y actualisait sa lecture gravée en 1974 à Houdan (Calliope) sur un Clicquot au tempérament autrement corsé. Le Boizard de Saint-Michel-en-Thiérache fut érigé peu de temps après la parution des pièces de Guilain. En 1997, cet instrument vedette de l’emblématique (et semble-t-il en déshérence) collection Tempéraments, également choisi par Marina Tchebourkina pour son intégrale de quatre Suites (Natives), venait de connaître une restauration par Georg Westenfelder, et s’avère ici en pleine forme, rayonnant d’une avenante sonorité.

Cette session présentait l’intérêt de se déployer en alternance vocale, conformément à la destination liturgique du recueil. Pour les versets servis par les pures et exquises voix des Demoiselles de Saint-Cyr, Emmanuel Mandrin avait choisi un style différent de plain-chant pour chacun des Magnificat, tous sourcés et expliqués dans le feuillet contrecollé au digipack : du plus archaïque (tradition grégorienne précédée d’une intonation pour le IVe ton) au plus « musicalisé » (un étonnant traitement en faux-bourdon pour le IIIe). Pour les trois premières Suites, les antiennes introductives ont été puisées à l’Antiphonaire monastique de Guillaume Gabriel Nivers (c1632-1714).

Pour fréquenter assidument cet enregistrement depuis sa parution initiale, on doit avouer que l’approche d’Isoir n’a pas pris une ride pour son chic, sa loquacité (les Basses de Trompette et Cromorne), son panache (les Grands Jeux), sa sensualité orante. Le livret reprend toute la notice d’origine, incluant les registrations de chaque pièce, et a pris soin d’actualiser les biographies (pages 11-12). Sous son habit rénové, on fêtera le retour de ce CD, à classer parmi les valeurs sûres pour le fonds organistique au crépuscule du Grand Siècle de Louis XIV.

Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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