Richard Strauss/Wagner en demi-teinte pour Daniel Behle

par

Richard Strauss (1864-1949) : Ständchen, op. 17/2 ; Vier Lieder op. 27 ; Befreit op. 39/4 : Intermezzo op. 72 : Interlude symphonique n° 2. Richard Wagner (1813-1883) : Lohengrin : Acte III : Récit du Graal ; Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg : Prélude ; Acte III : Preislied ; Tannhäuser : Acte III : Récit de Rome. Daniel Behle, ténor ; Orchestre Philharmonique Borusan d’Istanbul, direction Thomas Rösner. 2022. Notice en allemand, en anglais et en français. Textes chantés avec traduction en anglais. 56’ 03’’. Prospero PROSP 0072. 

Entamer la présentation d’un récital de chant par une louange des pages réservées à l’orchestre seul pourrait paraître une démarche incongrue. Elle se justifie cependant dans le cas présent, tant la prestation de l’Orchestre Philharmonique Borusan d’Istanbul (BIPO) nous émerveille dans l’ouverture des Maîtres-Chanteurs de Nuremberg, moment de claire décantation, et dans l’Interlude symphonique n° 2 tiré d’Intermezzo, moment de grâce absolue. Cette formation a été fondée en 1999 par le chef turc Gürer Aykal (°1942). Dans une note insérée, le Viennois Thomas Rösner (°1973) déclare que, lorsqu’il a l’a dirigée pour la première fois, il a compris qu’il ne s’agissait pas seulement d’un orchestre de premier ordre sur le plan technique, mais que le son était merveilleusement doux et malléable, et qu’il conviendrait parfaitement au romantisme allemand. On ne peut que lui donner raison, y compris lorsque cette phalange inspirée se met au service du chant. 

Au fil du temps, le BIPO a servi d’écrin à des artistes du calibre de Renée Fleming, Elina Garanča ou Angela Gheorghiu, Juan Diego Flórez, Bryn Terfel ou Ian Bostridge. Cette fois, c’est Daniel Behle (°1974), originaire de Hambourg, qui bénéficie de ses qualités collectives. Ce ténor à la voix lumineuse, installé à Bâle, s’est illustré sur maintes scènes, de Vienne à Paris, de Munich à Londres, de Berlin à Stockholm, ainsi qu’à Bayreuth, où il s’est produit dans Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg et dans Tannhäuser. Il compte notamment à son actif discographique des récitals de lieder de Schubert, Brahms, Schumann ou Richard Strauss pour Capriccio, de Gluck pour Decca, et une participation à un programme Debussy/Reynaldo Hahn pour BR Klassik. Une affiche comme celle-ci, qui alterne des pages de Richard Strauss et de Wagner, semble donc pour lui des plus logiques.

Les quatre lieder offerts en cadeau de mariage par Richard Strauss à la cantatrice Pauline de Ahna, d’abord avec piano, ont été orchestrés partiellement par le compositeur ; pour les numéros 2 (Cäcilie) et 4 (Morgen), ce fut pour une prestation aux Concerts Populaires de Bruxelles en 1897. Strauss n’orchestrera le n° 1 (Ruhe, meine Seele !) qu’en 1948, le n° 3 (Heimliche Aufforderung) l’étant par Robert Heger (1886-1978), créateur à Londres de Capriccio en 1953. Les mélodies amoureuses et les courbes vocales des deux premiers lieder ouvrent le programme, suivies par le Récit du Graal de Lohengrin, puis par la sérénade Ständchen op. 17/2 de Strauss. Cet ensemble d’un peu plus de treize minutes nous laisse sur notre faim. Si la voix de Daniel Behle confirme sa capacité de légèreté et nous touche dans Cäcilie, la caractérisation des émotions est ensuite peu marquée, touchant presque à l’absence d’investissement. L’ouverture des Maîtres-Chanteurs, située juste après ce premier bloc vocal, apparaît presque comme un espace de respiration bienvenu, ce qui est étonnant en plein récital de chant. 

Le reste du programme confirme hélas cette impression de monochromie qui s’est installée presque d’emblée. La technique n’est pas en cause, ni la projection, mais même le soutien de l’orchestre, qui a des inflexions caressantes, n’arrive pas à nous persuader que cette voix masculine, qui n’est pas très présente dans les gravures straussiennes, y est à sa place. Même les envolées lyriques de Befreit op. 39 n° 4 ne permettent pas à Daniel Behle, de confirmer la liberté de l’intitulé. Il arrive toutefois à nous toucher dans le Récit de Rome de Tannhäuser. C’est en fin de compte bien trop peu pour un récital qui, nous l’avons dit, est éclipsé par la prestation orchestrale. Celle-ci est une très heureuse découverte. C’est toujours cela de pris.

Son : 8,5  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 6,5 (chant) - 10 (orchestre)

Jean Lacroix

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.