Träume und Erwachen, où Jean-Pierre Deleuze rencontre Bach

par

Träume und Erwachen. Johann Sebastian (1685-1750) ; Jean-Pierre Deleuze (1954-). Frédéric d’Ursel, violon ; Cindy Castillo, orgue. 51’28" – 2024 – Livret : français, anglais et allemand. Paraty. 1423222. 

Le projet, en mûrissement depuis une dizaine d’années, est original, qui consiste, en trois volets dont Träume und Erwachen est le premier, à rassembler sur disques les six sonates pour clavecin et violon de Johann Sebastian Bach entrecoupées de la voix d’un compositeur d’aujourd’hui – ici, Jean-Pierre Deleuze, d’origine athoise et partiellement autodidacte, lecteur assidu de partitions (celles des musiciens dont une œuvre l’attire, celles qu’il décortique pour les traduire et les transmettre à ses étudiants). L’orgue, qui prend la place du clavecin initial, est l’instrument prépondérant des sonates, aux ordres de Cindy Castillo (titulaire à l’église Saint-Loup de Namur – où se tient bientôt le Printemps des Orgues de Saint-Loup – et à la Basilique du Sacré-Cœur à Bruxelles), guidé par des partitions écrites pour les deux mains (ce n’est pas si courant), où l’une devise avec le violon (Frédéric d’Ursel, fondateur de l’ensemble de chambre Oxalys, dont la souplesse de jeu est précieuse, en concert, face aux configurations multiples des orgues), pendant que l’autre joue la ligne de basse.

Conscient de « s’immiscer dans un territoire sacré » – celui d’un des plus grands compositeurs de l’histoire de la musique –, Deleuze, touché dès ses douze ans par la fugue à l’orgue qu’il découvre à la Chapelle du Collège d’Enghien, livre deux pièces pour orgue et violon et un interlude pour violon seul, qu’il conçoit comme au service des pièces de Bach (il a développé une analyse fine de son écriture), à la fois menant à et en lien avec elles. A cette œuvre peut-être universelle, qui endure depuis des siècles et sans broncher des adaptations très diverses, qui sortent parfois du domaine de la musique classique, Deleuze rend hommage par une écriture à la technique précise, réfléchie, structurée, qui laisse toute sa place à l’émotion : Ruf, qui respire entre les deux sonates, évoque des images de nature, celle d’une source d’où l’eau jaillit par impulsions impalpables – comme si la vie s’extirpait de terre ; le Prélude allie élégance et mystère ; le Postlude développe une majesté intimidante avant de se faire (presque) joyeux et émouvant.

Le plaisir pris par les interprètes sourd tout au long du disque, le défi majeur résidant dans le fait « d’oser dire Bach comme on le sent », avec son bagage de musicien, dans la lignée de ceux qui depuis l’époque baroque, transposent un discours ancien dans un contexte contemporain, et le font résonner au travers des mots d’aujourd’hui.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

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