Roth fait vibrer la Belle-Époque au Théâtre des Champs-Élysées »
Édouard Lalo (1823-1892) : Namouna, Suite no 1 ; Claude Debussy (1862-1918) : Prélude à l’Après-midi d’un faune. L. 86 ; Albert Roussel (1869-1937) : Bacchus et Ariane op.43 / Suite n°2 ; Paul Dukas (1865-1935) : L’Apprenti sorcier. Les Siècles, direction : François Xavier Roth. 2023. Livret en : français, anglais et allemand. 61’24’’. Harmonia Mundi. HMM 902736
Pour ses vingt ans, l’orchestre Les Siècles dirigé par François-Xavier Roth offre une relecture lumineuse de Lalo, Debussy, Roussel et Dukas dans un disque enregistré en concert au Théâtre des Champs-Élysées. Une célébration qui ne verse pas dans la nostalgie, mais dans une clarté farouche et une énergie collective maîtrisée.
Il y a des anniversaires qui s’effilochent dans le folklore et d’autres qui prennent le parti d’un discours net. Celui-ci appartient à la deuxième catégorie. Pour fêter ses vingt ans, Les Siècles ont choisi le Théâtre des Champs-Élysées, une salle qui porte en elle une partie de l’histoire musicale française. Le programme — Lalo, Debussy, Roussel et Dukas — pourrait sembler classique sur le papier. Mais sous la direction de François-Xavier Roth, il devient une démonstration d’intelligence orchestrale : un fil tendu entre tradition et modernité.
Dès les premières mesures de Namouna de Lalo, le geste est clair. Le Prélude s’avance sans emphase : cordes nerveuses, attaques franches, phrasés nets. On perçoit immédiatement la spécificité des instruments historiques, qui allègent la pâte sonore et redessinent les équilibres. Dans la Sérénade puis le Thème varié, la transparence orchestrale met en valeur les circulations de timbre et les contrastes dynamiques. La Parade de foire et la Fête foraine évitent le clinquant : l’énergie vient du collectif, pas de la surenchère. Le Presto final frappe par sa vivacité tenue, comme un mouvement qui ne cherche pas à séduire, mais à avancer.
La transition vers le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy s’opère presque naturellement. Roth refuse le flou impressionniste qu’on associe souvent à cette œuvre. Les lignes sont souples, mais fermes ; les bois, en particulier, trouvent une légèreté étrange, presque spectrale, que l’on perd parfois avec les instruments modernes. Les silences sont pesés, les respirations comptées. Ce Faune n’est pas un rêve vaporeux : c’est une architecture sonore qui avance à pas mesurés.
Avec la suite n°2 de Bacchus et Ariane de Roussel, la tension se densifie. L’écriture orchestrale, souvent redoutable d’équilibre, trouve ici une assise solide. Le Réveil d’Ariane est conduit avec retenue, presque dans une demi-lumière ; la montée dramatique se construit patiemment, sans à-coups. Quand la Bacchanale éclate, elle n’est pas lâchée comme un déferlement incontrôlé, mais inscrite dans une ligne claire, structurée. Le geste de Roth est ferme, la pulsation tendue, et l’orchestre suit avec une précision impressionnante.
Le programme se referme sur L’Apprenti sorcier de Dukas. Ici, Roth s’amuse sans jamais perdre le contrôle. L’œuvre, si souvent livrée à l’effet, gagne une précision presque chirurgicale. Les attaques sont nettes, les cuivres projetés avec autorité, les cordes tranchantes. L’ironie de Dukas surgit non des grimaces orchestrales, mais de la maîtrise collective : la mécanique s’emballe, mais personne ne lâche les rênes.
Ce disque n’est pas une rétrospective figée. C’est un moment vivant, une manière de faire entendre ces œuvres comme si on les découvrait à nouveau. Roth dirige avec une clarté qui ne laisse rien au hasard ; Les Siècles répondent avec cette souplesse et cette énergie propres aux orchestres qui savent exactement ce qu’ils veulent faire entendre. En choisissant de célébrer leur anniversaire par un concert, et non par une compilation d’images convenues, ils affirment une position musicale claire : retourner aux sources, non pour s’y enfermer, mais pour les faire vibrer au présent.
Il faut évidemment replacer cette parution dans un contexte, du retour de François-Xavier Roth au pupitre suite à la période de retrait à laquelle il s’était soumis suite aux accusations portées contre lui. Pour autant, l’analyse de ce disque se concentre ici sur ce qu’il est : une interprétation collective, le fruit d’un orchestre et d’un chef dans un moment artistique précis. On peut — et il faut parfois — distinguer l’œuvre de celui qui la dirige. C’est dans cette perspective strictement musicale que s’inscrit cette chronique.
Son : 10 - Répertoire : 9 - Interprétation : 10