Pichon éclaire le Requiem allemand de Brahms de l’intérieur

par

Johannes Brahms (1833-1897) : Ein deutsches Requiem, Op.45. Sabine Devieilhe, soprano ;  Stéphane Degout, baryton.  Pygmalion, direction :  Raphaël Pichon. 2024. Livret en français, anglais et allemand. 65’07’’. HMM 902772

Certaines œuvres imposent le silence avant même que la musique ne commence. Le Requiem allemand de Brahms en fait partie. Ce n’est pas un appel à la grandeur ni à l’effet spectaculaire : c’est une œuvre qui parle doucement, mais profondément, de ceux qui restent. Dans la lecture de Raphaël Pichon avec Pygmalion, publiée chez Harmonia Mundi, cette idée se trouve au cœur de chaque mesure. Pichon choisit la clarté, la respiration et l’équilibre, et laisse Brahms se révéler par lui-même.

Dès le premier mouvement, Selig sind, die da Leid tragen, le ton est donné. Les cordes tissent une matière souple, suspendue, sur laquelle le chœur s’installe avec une précision rare. Rien n’est forcé, tout est en place. L’ouverture se déploie comme une respiration lente : sobre, mais d’une évidence immédiate. La lumière se fait progressivement, portée par un équilibre subtil entre orchestre et voix.

Le deuxième mouvement, Denn alles Fleisch es ist wie Gras, est souvent traité comme une marche funèbre monumentale. Ici, Pichon opte pour la mesure et la tension contenue. Les graves restent nets, les cuivres précis, la pulsation ferme mais fluide. Chaque entrée vocale s’inscrit dans un équilibre millimétré, comme si le chœur et l’orchestre partageaient la même pensée.

Dans le troisième mouvement, Herr, lehre doch mich, Florian Boesch s’impose par sa sobriété. Sa voix n’impose rien, elle habite le texte. La ligne est claire, la projection naturelle, l’articulation parfaite. Le chœur reprend le fil sans dramatisation, en résonance avec la pensée intérieure que porte le baryton. Chaque motif est respecté, chaque nuance dosée avec intelligence.

Le cinquième mouvement, Ihr habt nun Traurigkeit, change de couleur. Sabine Devieilhe y apporte une lumière aérienne. Son timbre est clair et contrôlé, sans jamais dominer l’orchestre. La grâce fragile de sa voix suspend le temps, donnant à ce passage une intensité retenue mais palpable.

Les deux derniers mouvements, Denn wir haben hie keine bleibende Statt et Selig sind die Toten, concluent le cycle dans la continuité de cette lecture : ligne tendue, battue exacte, équilibre constant. Pas de spectaculaire, seulement une lumière stable qui accompagne et soutient. Le Requiem se termine comme il a commencé : sobre, rigoureux et juste.

Cette interprétation de Pichon refuse le pathos et le sensationnel. Elle s’appuie sur la structure, sur le texte, sur la respiration collective. Le résultat est une lecture réfléchie, solide, qui fait entendre Brahms dans sa vérité : pas dramatique, mais profondément humain, et d’une beauté contenue qui se révèle au fil de l’écoute. Elle se taille la part du lion au sein de la discographie contemporaine. 

Son : 10 - Répertoire : 10 - Interprétation : 10

Bertrand Balmitgère

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