Samson François, le fantasque devant l’éternel 

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Samson François : The Complete Recordings. Oeuvres de Johann Sebastian Bach (1685-1750), Béla Bartók (1881-1945), Ludwig van Beethoven (1770-1827), René Challan (1910-1976), Frédéric Chopin (1810-1849), Claude Debussy (1862-1918), Gabriel Fauré (1845-1924), César Franck (1822-1890°, Samson François (1924-1970), Paul Hindemith (1895-1963), Franz Liszt (1811-1963), Felix Mendelssohn (1809-1847), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Sergei Prokofiev (1891-1953), Maurice Ravel (1875-1937), Camille Saint-Saëns (1835-1921), Alexander Scriabine (1872-1915), Robert Schumann (1810-1856). Samson François, piano. Solistes, chefs et orchestres divers. Livret en français, anglais et allemand. 1 coffret de 54 CD et 1 DVD Warner Classics. Référence 0190295261863. 

A l’occasion des 50 ans du décès de Samson François, Warner remet en boîte l’intégralité des enregistrements du musicien. La somme traditionnelle issue des enregistrements studios tirés des fonds EMI est complétée par 9 CD de captations de concerts. Les fans du pianiste seront ravis de retrouver pour la première fois au disque le récital enregistré le 26 juin 1970 aux Fêtes Romantiques de Nohant. 

Il est difficile d’écrire à nouveau sur Samson François tant le personnage est devenu une légende de la musique classique comme Callas ou Karajan et tant il occupe une place unique au Panthéon du piano. Il est frappant de constater que même pour les nouvelles générations, il reste un Parangon. Ainsi, lors d’une récente discussion avec un jeune confrère, ce dernier ramenait des pianistes français actuels à une inéluctable comparaison avec cet étalon de l’art musical et la conversation se clôtura par un intangible “certes, ces musiciens sont excellents, mais cela ne vaut quand même pas Samson François !”. Mais qu’est-ce qui fait cette force du pianiste qui passe les générations et les frontières pour rester le point de comparaison pour tout pianiste Hexagonal ? 

Tout a pourtant été dit sur l’art si particulier de ce musicien, cette capacité narrative, ce sens des couleurs, cette imprévisibilité devenue légendaire. Élève de Marguerite Long, d’Yvonne Lefébure et d’Alfred Cortot, il est par nature un pianiste foncièrement français, mais loin d’une certaine rigueur d’émotions contrôlées incarnée par Robert Casadesus, Jacques Février ou Jean Doyen, Samson François embrasse la musique dans une transe émotionnelle. Si ses Ravel et ses Debussy restent des références magistrales et incontournables, c’est justement par ce sens des couleurs et des contrastes qui recrée un univers en adéquation avec le style et l’esprit de ces compositeurs car pour des révolutionnaires, il faut un visionnaire ! 

Le répertoire de Samson François était également exclusif ! Si Liszt, Schumann et surtout Chopin étaient sa base, il fréquentait assez peu Beethoven ou Brahms. A propos de ce dernier, on connaît sa saillie célèbre « rien que d’y penser, j’ai mal aux doigts ». Avec Chopin, on est justement dans un geste interprétatif ou tout semble évident, l’esprit et le style encore servis par un artiste visionnaire font de tous ces disques des piliers de la discographie. 

Compositeur lui-même, Samson François ne délaissa pas la musique de son temps : il avait donné la première aux Etats-Unis du Concerto pour piano n°5 de Serge Prokofiev et le Concerto n°3, qui n’était pas encore un cheval de bataille des virtuoses de concours, était l’un de ses morceaux de bravoure. Certes, on a connu des doigts plus puissamment virtuoses dans Prokofiev mais rarement interprétations aussi personnelles. De même pour le Concerto n°3 de Bartók enregistré en concert avec le très jeune David Zinman au pupitre de l’Orchestre de l’ORTF ou les Quatre tempéraments de Paul Hindemith.

L’atout du coffret est de proposer des enregistrements de concert, y compris les dernières captations où le pianiste n’est plus trop rigoureux. Mais, ayant vécu à la vitesse supersonique, avec de nombreux excès, l’homme et le musicien s’y confondent et contribuent à donner à ce beau coffret ce qu’il faut d’humanité pour comprendre cet artiste unique. Car justement, Samson François est foncièrement humain dans ses forces et ses faiblesses tout en étant capable de recréer les partitions avec une imagination débordante, tout y est libre et semble fluide. 

Warner a eu la bonne idée d’adjoindre le documentaire Samson François l’enchanteur du piano réalisé par son fils Maximilien. Une très belle porte d’entrée pour découvrir l’art du pianiste. 

Certes, EMI n’a jamais été le plus hifiste des labels et les orchestres parisiens des années 1950-1960 témoignent d’un fini instrumental plutôt nonchalant et de sonorités assez vertes, mais cet ensemble est authentique et illustre toute une période de l’histoire de l’enregistrement. Il est évident que les mélomanes ont déjà la quasi-totalité de ces gravures, mais cette nouvelle édition très soignée et graphiquement esthétique est à thésauriser. 

Son : 7 Livret : 8 Répertoire : 10 Interprétation : 10

Pierre-Jean Tribot 

 

 

 

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