Somptueux programme orchestral et concertant consacré à Grazyna Bacewicz
Grażyna Bacewicz (1909-1969) : Ouverture ; Concerto pour piano ; Concerto pour deux pianos et orchestre ; Musique pour cordes, trompettes et percussion. Peter Jablonski, Elisabeth Brauß, piano. Nicholas Collon, Orchestre symphonique de la Radio finlandaise. Avril et décembre 2022. Livret en anglais et finnois. TT 63’08. Ondine ODE 1427-2
À défaut de manifester une écriture très personnelle (selon les instants, elle pourrait aussi bien sortir de la plume d'un William Walton, d'un Darius Milhaud ou d'un Paul Hindemith), la trépidante Ouverture de 1943, conçue pendant l’occupation nazie, ce que ne reflète guère sa jovialité, est à l'image de la vie de cette compositrice dont le livret retrace le caractère énergique et la carrière affairée. Une femme élégante, curieuse, qui accéda aux plus hauts honneurs de la vie artistique de son pays (vice-présidente de l’Union des Compositeurs de Pologne). Férue de culture arabe et hindoue, elle voyagea aussi aux États-Unis pour étudier la musique arménienne.
Plus significatives et personnelles, les trois autres œuvres concertantes et orchestrales du programme s'inscrivent au sein d'un corpus qui compte aussi quatre symphonies, sept concertos pour violon, un concerto pour alto, deux concertos pour violoncelle, et un concerto pour archets qui reste son opus le plus célèbre et enregistré.
Le lyrisme (quelques furtives bribes de cantilène alla Rachmaninov) et une certaine chaleur tonale irriguent encore le Concerto pour piano de 1949, écrit pour un concours organisé par l'Union des compositeurs polonais pour célébrer le centenaire de la mort de Chopin. Un feu amer couve dans l’Andante, où circulent des chromatismes suggérant Karol Szymanowski, qui fut un professeur de Bacewicz. Dans les deux allegros, le style à la fois néoclassique et percutant ne déplaira pas aux amateurs de Prokofiev, Chostakovitch et Ravel, avec quelques touches pittoresques et pompières dignes d’Aram Khatchatourian.
En revanche, le concerto pour deux claviers écrit presque vingt ans plus tard manifeste une veine plus aride, dissonante voire marquée par les avant-gardes contemporaines. Ses créateurs, Jerzy Maksymiuk et Jerzy Witkowski, l'avaient intensément préparé pendant les répétitions du concert, et ils l’enregistrèrent peu après, accompagnés par l'Orchestre Philharmonique national sous la direction de Stanisław Wislocki, –un vinyle sous étiquette Muza.
Autre référence historique de la discographie : sous la baguette de Witold Rowicki, le même orchestre de Varsovie grava la Musique pour cordes, trompettes et percussion, diffusée en microsillon à la fin des années 1960 chez le label Philips. L’œuvre fut présentée au public en septembre 1959. Son appellation renvoie aisément à la musique de Bartók, de vingt ans antérieure et qui porte un titre voisin, bien que la nomenclature (archets, cinq trompettes, xylophone, célesta, timbales, caisse claire) et l'usage des pupitres diffèrent ici un peu. On notera le recours à des structures plutôt académiques pour l’Allegro : une forme-sonate dont le second thème évolue en canon inversé pour violons et violoncelles. La transparence et le mode de prolifération, qui semble tantôt aléatoire tantôt contrôlé, ne sont pas sans rappeler Witold Lutosławski. Quand la sèche directionnalité du Vivace final évoquerait les symphonies médianes d’Arthur Honegger.
Pour Ondine également, Peter Jablonski s’était distingué dans un CD consacré à des œuvres solistes de la compositrice polonaise. Dans le concerto à deux pianos, il est ici rejoint par une autre brillante virtuose : la jeune allemande Elisabeth Brauß, née en 1995, déjà remarquée dans un album Beethoven, Prokofiev, Chopin et Denhoff, chez Oehms. Leur jeu précis, nourri, flamboyant quand il faut, est celui que réclament les œuvres. À la tête de l'Orchestre de la Radio finlandaise, Nicholas Collon anime une exécution précise et riche de couleurs, qui rend justice aux chatoiements de l'écriture, même si ses traces de causticité moderniste tendent à se parer d'opulence et mériteraient des angles encore plus vifs, un ton plus acerbe, des traits plus incisifs -ce qu’on ne saurait certes toutefois récuser quand Bacewicz se voit consacrer une réalisation aussi somptueuse, flattée par les micros.
Christophe Steyne
Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9,5