Superbe lecture du Klavierquartett du jeune Schumann
Piano Trios Vol.2. Robert Schumann (1810-1856) : Trio avec piano no 3 en sol mineur Op. 110. Sechs Studien in kanonischer Form Op. 56 [arrgmt pour trio avec piano de Theodor Kirchner]. Quatuor avec piano en ut mineur. Kungsbacka Piano Trio. Malin Broman, violon. Jesper Svedberg, violoncelle. Simon Crawford-Philips, piano. Lawrence Power, alto. Mars 2019 & mai 2022. Livret en anglais, allemand, français. TT 77’58. BIS-2477
Sous la bannière d’un volume 2, cet album fait suite à un enregistrement de 2018 qui regroupait les deux Klaviertrios opus 63 et 87, couplés avec les Fantasiestücke en la mineur. Voici donc le troisième et dernier des Trios avec piano, proposé avec deux autres œuvres : les Sechs Studien in kanonischer Form initialement conçues pour piano-pédalier et arrangées par le compositeur Theodor Kirchner (1823-1903), et le Quatuor avec piano d’adolescence (1829, partie de piano complétée par Joachim Draheim), à ne pas confondre avec son célèbre aîné en mi bémol majeur de 1842. Ce quatuor opus 47 fera-t-il l’objet d’un futur album par les mêmes interprètes, adossé au Quintette avec piano ?
Fondé en 1997 et primé au concours international de musique de chambre de Melbourne deux ans plus tard, le trio suédo-britannique Kungsbacka porte le nom de la ville où il accorda son premier concert. Une sonorité, une complicité muries depuis plus d’un quart de siècle, qui se sont aguerries au disque par une série consacrée au grand répertoire austro-allemand (Haydn, Mozart, Schubert) mais aussi français (Chopin et Fauré), pour le label Naxos.
Fort de son expérience, l’ensemble trace une esthétique classiciste et techniquement maîtrisée du Trio de 1851, émotionnellement dense, et qui trouve ici une sobre interprétation, attentive aux fines nuances dynamiques. Plutôt que l’impétueux bouillonnement du Bewegt doch nicht zu rasch, les trois musiciens en soutirent une élégante fluidité, admirablement animée et liée par le clavier de Simon Crawford-Philips. Les relents psychotiques passent au second plan. Les trois musiciens rassérènent le lyrisme du Ziemlich langsam, quitte à l’amollir dans une quiète opalescence, sans brusquer les rafales en 9/8. Dommage que les irisations du violon de Malin Broman semblent tant rechigner au contraste. Ainsi tamisées, les poussives machinations du Rasch relèvent plus de la ratiocination obsessive que du lancinant haut-le-cœur. Les accès libérateurs du Kräftig. Mit Humor tempèrent tout emballement quand le trio en modère les saillies. Malgré la grisante étoffe des textures instrumentales, finement esquissées, ciselées dans une douce lumière, cette pudique exécution tend à édulcorer cet opus, en alléger les affects et à l’annexer dans un giron fin de siècle.
Similairement, les étapes intériorisées des Sechs Studien versent dans une prudence excessive, qui distille un certain ennui (Mit innigem Ausdruck), des tournures vétilleuses (Andantino). Les échanges en canon révèlent un dialogue soupesé entre la violoniste et le violoncelliste qu’on souhaiterait moins discret. L’équanimité du dosage raffine le modelé sans s’emparer d’une éloquence qui nous soustrairait à un scolaire cahier d’exercices. Même le Nicht zu schnell, que Schumann a zesté d’humour, s’enferre dans une fadeur pince-sans-rire, débouchant sur un Adagio confiné et anodin. En revanche, on doit saluer une ardente lecture du Quatuor en ut mineur. Renforcé par l’alto de Lawrence Power, le Trio Kungsbacka déploie toute la vitalité, la fiévreuse imagination et l’audace conquérante de ces pages de jeunesse, dont l’élan et même les faiblesses formelles se trouvent transfigurées par une interprétation animée à cœur. Rayonnante ! Dommage que le reste du programme soit moins convaincant, d’autant que la discographie abonde de références pour l’opus 110. Mais cette dernière demi-heure suffit à forger l’attrait de ce SACD.
Christophe Steyne
Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 7-9,5 – Interprétation : 6 (op. 56) à 9,5 (quatuor)
Chronique réalisée sur base de l'édition SACD