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Alexandra Lescure : extase baroque 

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La pianiste Alexandra Lescure fait paraître chez Calliope un album qui confronte des œuvres de Scarlatti et Royer. Cette proposition éditoriale est aussi originale qu’inattendue. Crescendo Magazine a eu envie d’en savoir plus et vous propose une interview avec cette pianiste. 

Votre album se nomme “Extase baroque”, il fait suite à un précédent disque intitulé “Immersion”. La présence d’un titre est-elle importante pour vous ?  

Effectivement, j’aime à nommer mon travail discographique afin qu’il s’en dégage une dimension poétique, philosophique ou spirituelle au-delà des propositions de pièces interprétées. Je crois aussi que cela me guide vers ce qui me paraît être l’essence d’une proposition au plus proche de mes aspirations de vie du moment. J’ai toujours aimé associer la musique aux mots, notamment dans divers projets dans lesquels je tourne autour du théâtre avec Chopin ou de la poésie avec Char.

Mon premier disque « Immersion » articulé autour de Scarlatti, Haydn et Mozart invoquait l’introspection qui a été nécessaire à la procréation d’un premier disque. La genèse d’un projet artistique m'apparaît comme vitale.

Le titre Extase baroque fut une évidence. Tout d’abord parce qu’à ce stade de mon cheminement artistique, je ressens mon accomplissement musical tel un travail énergétique et vibratoire en lien avec le son et le geste instrumental. D’autre part, chacune des douze pièces de cet album évoque l’état d’extase soit par l'émanation dépouillée menant à l’abandon, soit par l’exaltation d’un jeu trépidant, soit par la transe d’harmonies  âpres aux répétitions obsessionnelles telles des danses sauvages aux rituels ancestraux.

L’album propose des œuvres de Domenico Scarlatti mais également de Joseph-Nicolas-Pancrae Royer ? Qu’est-ce qui vous a attiré vers l'œuvre de Royer ?

J’ai découvert Royer une nuit de confinement en 2020 avec le magnifique album de Jean Rondeau Vertigo. Je crois l’avoir écouté des heures durant, j’étais subjuguée par cette musique si belle et parfois si étrange pour son époque. Le lendemain,  je proposais d’associer Royer à Scarlatti à ma maison de disque Calliope. Le coup de cœur fut partagé. Le disque devait initialement être entièrement consacré à Scarlatti. 

Les pièces pour clavecin de Royer sont des transcriptions d’opéras-ballets du compositeur dans le Paris des années 1740 tels que La Zaïde, Reine de Grenade ou Le Pouvoir de l’Amour. La musique de Royer m’a tout d’abord captivée par la simplicité et la beauté de ses pièces lentes et chantées (La Zaïde,  Les tendres sentiments ou l’Aimable) que j’envisageais au piano dans une expression à la fois pure, contenue et irrésistiblement touchante. D’autre part, les pièces flamboyantes telles que le Vertigo ou La Marche des Scythes représentaient un véritable défi d’interprétation face à une écriture à la fois visionnaire mais viscéralement clavecinistique. Dans ces pages, les modes de jeux sont d’une rapidité extrême avec des gammes fusées, des tremblements foisonnants d’accords brisés, des attaques parfois pincées avec une articulation d’une précision inouïe mais aussi l’exploitation d’un matériau plus percussif dans le refrain. Cette musique est d’une grande singularité pour l’époque car elle cultive aussi des grappes d’accords très graves voire stridents afin de créer une dimension poignante et théâtrale. J'aime le style impétueux et hypnotique que l’on retrouve toujours dans cette Marche des Scythes au thème lancinant telle une danse archaïque.