Mots-clé : Christian Federici

 A la Scala de Milan, des Vespri Sciliani décevants

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« Sparate al regista ! » (Tirez sur le metteur en scène !), hurle le spectateur d’une loge à la fin de la première partie de ces Vespri Siciliani que la Scala de Milan n’a pas remises à l’affiche depuis décembre 1989, lorsque Riccardo Muti dirigeait la production de Pier Luigi Pizzi. A l’éclat de rire provoqué par ce cri du cœur outré, le public fait chorus, tant il est vrai que cette nouvelle production nous laisse sur notre faim. Hugo de Ana en a conçu lui-même mise en scène, décors et costumes. Dans un interview accordé au journaliste Biagio Scuderi (publié dans la Rivista del Teatro de février 2023), il déclare : « Je n’ai pas imaginé un boîtier vériste parce que, pour moi, l’ouvrage de Verdi n’est pas vériste. C’est pourquoi j’ai réalisé un réceptacle abstrait, un cadre de guerre, avec des objets très évidents comme des chars militaires et des fusils. Je mets en scène une situation dramatique centrée sur la violence qu’un peuple peut subir à cause des envahisseurs… Si j’ai trouvé ou non la bonne solution, le diront les spectateurs ». 

Malheureusement, il faut lui répondre négativement, car malgré de magnifiques jeux de lumière conçus par Vinicio Cheli, l’on se fatigue rapidement de ces tanks porte-missile, de cette soldatesque avinée braquant ses fusils sur ces femmes siciliennes brandissant des poignards pour protéger un tableau de la Madone, de ces cercueils pour lesquels l’on cherche une sépulture de fortune, de cette scène rappelant Monuments Men avec les œuvres d’art spoliées s’accumulant dans les antichambres du château de Guido di Monforte, de cette statue de la Vierge portée à bout de bras recelant les baïonnettes de la vengeance. 

Elle y a cru, nous y croyons : Madama Butterfly à Avignon

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Pauvre petite Cio-Cio-San, pauvre et pathétique Mrs Pinkerton, pauvre Madame Butterfly, pauvre petit papillon épinglé, broyé. En quelques appellations, le destin d’une héroïne tragique. Là-bas à Nagasaki, dans un Japon misérable, à peine âgée de quinze ans, elle est vendue à un officier de marine américain, « mariée » pour 999 ans, avec possibilité pour le « mari » de résiliation mensuelle du contrat. Elle y croit. Elle renonce à sa famille, à sa religion. Il part. Elle l’attend. Il revient, mais avec sa « femme américaine », légitime, officielle, désireux de reprendre l’enfant né de leur union. Elle se suicide avec le sabre de samouraï de son père, sur lequel on peut lire : « Il meurt avec honneur celui qui ne peut vivre avec honneur ».

Elle y a cru, nous ne cessons d’y croire, encore et encore émus, depuis la création de l’opéra en 1904. Un mélodrame ? Oui, mais bien plus que cela. Une enfance abusée, un contexte culturel, religieux et social, la morgue indifférente et « de bonne foi tranquille » de ceux qui sont les plus forts, la vénalité, l’amour pur, naïf, sans calcul, la tendresse, des touches d’humour, une tragédie irrésistible. Et surtout une partition si juste dans la façon dont elle dit le drame, dont elle est le drame. Ah ! ces thèmes pucciniens qui annoncent, qui exposent, qui rappellent. Nous entendons, nous ressentons, nous vibrons avant que les mots ne surgissent. Et l’on a beau connaître l’œuvre, l’avoir écoutée et écoutée, savoir à quel moment l’émotion est au rendez-vous, elle nous atteint chaque fois, bouleversante.