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À Bastille, une Walküre globalement rassurante

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La vision du monde développée au fil des trois actes de cette première journée du Ring par Calixto Bieito a beau être singulièrement anxiogène, elle n’en demeure pas moins sécurisante, tant au regard de la qualité du plateau vocal que grâce à l’explicitation du propos du metteur en scène. Seule la direction musicale de Pablo Heras‑Casado continue de laisser circonspect.

La noirceur de Das Rheingold était bien absconse mais semble désormais plus logique. Dès la tempête inaugurale, on comprend ainsi que le choix des dieux de sacrifier la nature à la technologie — lors du prologue du Ring —, comme en témoigne le chêne devenu ficus dans la tanière de Hunding, a rendu le monde irrespirable. Même les animaux domestiques sont désormais factices : en témoignent le chien robot de Wotan ou encore Grane devenu une simple tête de cheval qu’une Brünnhilde infantilisée s’amuse à chevaucher. L’une des dernières images du Rheingold montrait d’ailleurs un nourrisson faisant l’objet d’expérimentation transhumaniste. Ce visuel trouve dans l’ouverture du troisième acte un écho direct, montrant le public de Bastille plongé dans une torpeur lobotomisée et parsemé de cyborgs. La projection des images suggère que ce choix de la technologie au détriment de la nature fut générateur de conflit dans lequel les machines finirent par prendre leur propre parti : en témoignent les walkyries aux allures de drones massacrant les civils en les défénestrant. Certaines interrogations subsistent toutefois. Ainsi, lorsque Fricka brise la lance de Wotan durant la première scène du deuxième acte, on se demande bien comment diable ce dernier réussit-il à l’utiliser pour briser Notung lors de la quatrième scène. Gageons toutefois que Siegfried apportera ici quelques réponses. Au milieu des décors de Rebecca Ringst, saluons les lumières particulièrement soignées de Michael Bauer ainsi que les vidéos de Sarah Derendinger pour leur remarquable travail cinésthésique.

Retour à Vienne de L’Armurier d’Albert Lortzing pour ses 175 ans

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Albert Lorztzing (1801-1851) : Der Waffenschmied (L’Armurier), opéra-comique en trois actes. Günther Groissböck (Hans Stadinger, armurier et vétérinaire), Miriam Kutrowatz (Maria, sa fille), Juliette Mars (Irmentrauf, la gouvernante), Timothy Connor (Le comte von Liebenau/Konrad), Andrew Morstein (Georg, son écuyer), Ivan Zinoviev (Le chevalier Adelhof), Jan Petryka (Brenner, beau-frère de Stadinger) ; Chœurs Arnold Schoenberg ; Orchestre symphonique de la Radio ORF de Vienne, direction Leo Hussain. 2021. Notice en allemand et en anglais. Texte complet du livret en allemand avec traduction anglaise. 103.00. Un album de deux CD Capriccio C5490. 

De superbes tableaux : le Vaisseau fantôme de Richard Wagner à Bastille  

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A l’Opéra Bastille à Paris, Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner, tel que l’a mis en scène Willy Decker, offre aux spectateurs de superbes tableaux visuels, qui sont les meilleurs écrins pour le déploiement des richesses vocales et musicales de l’œuvre.

Malédiction et rédemption, tels sont les deux pôles du Vaisseau fantôme : maudit, le Hollandais volant est condamné à errer sans fin sur les mers. Tous les sept ans, il peut cependant jeter l’ancre dans un port avec l’espoir de trouver une jeune femme, « un ange de Dieu », qui, lui jurant fidélité éternelle, garantira sa rédemption. Telle sera Senta, au prix de sa vie.

Musicalement, la somptueuse ouverture déploie déjà tous les thèmes qui, à la Wagner, même s’il n’a pas encore atteint sa plus grande maturité, disent les êtres, leurs faits, leurs croyances, leurs rêves, leur destinée. Pour qui a déjà entendu l’œuvre, réécouter cette ouverture, c’est revoir ce qui va advenir, et s’en réjouir, même si c’est fatal.

Willy Decker fait de cet opéra une somptueuse « galerie ». Le tout s’inscrit dans un décor monumental, une immense pièce, avec une immense porte et une vue sur une immense peinture animée, qui ouvrent sur les surgissements révélateurs du destin en marche (le chœur des marins dans la tempête, un bateau en difficulté dans une mer démontée, une grande voile rouge, le Hollandais, le chœur des femmes des marins, Erik le Chasseur), et qui, par un habile jeu de lumières, donnent vie à des ombres tout aussi immenses. Une immensité à la mesure de ce qui domine et écrase ces êtres-là. Une immensité paradoxalement d’exacte mesure. Une scénographie réduite aussi à quelques accessoires, le portrait du marin maudit, qui fascine tant Senta, des chaises, une voile de vaisseau à ravauder.