Retour à Vienne de L’Armurier d’Albert Lortzing pour ses 175 ans
Albert Lorztzing (1801-1851) : Der Waffenschmied (L’Armurier), opéra-comique en trois actes. Günther Groissböck (Hans Stadinger, armurier et vétérinaire), Miriam Kutrowatz (Maria, sa fille), Juliette Mars (Irmentrauf, la gouvernante), Timothy Connor (Le comte von Liebenau/Konrad), Andrew Morstein (Georg, son écuyer), Ivan Zinoviev (Le chevalier Adelhof), Jan Petryka (Brenner, beau-frère de Stadinger) ; Chœurs Arnold Schoenberg ; Orchestre symphonique de la Radio ORF de Vienne, direction Leo Hussain. 2021. Notice en allemand et en anglais. Texte complet du livret en allemand avec traduction anglaise. 103.00. Un album de deux CD Capriccio C5490.
Le 30 mai 1846, Albert Lortzing dirigeait au Theater an der Wien la création de son opéra-comique Der Waffenschmied. Pour célébrer les 175 ans de l’événement, le même théâtre autrichien en a proposé une version de concert en octobre 2021, gravée pour le label Capriccio. Cette partition légère a fait l’objet d’un enregistrement dès 1936, à Berlin, sous la direction de Gustav Schlemm (Myto). D’autres ont suivi, notamment en 1958, à Munich, sous la baguette de Jan Koetsier (Relief, 2010), avec Hermann Prey dans le rôle du Comte von Liebenau, présent aussi en 1964, toujours à Munich, Fritz Lehan dirigeant (EMI/Electrola 2013). DG offrait une sélection à la même époque ; on y trouvait Gundula Janowitz et Josef Greindl. Retour à Munich avec Leopold Hager et les voix de John Tomlinson ou Ruth Ziesak (Profil Hänssler, 2005). Chez Naxos (2019), on peut entendre, parmi d’autres de Lortzing, la sémillante ouverture, par le Symphonique de Malmö dirigé par Jun Märkl. Cet opéra-comique n’a certes pas été négligé, mais l’anniversaire justifie une nouvelle version.
Si Lortzing est demeuré à l’affiche de maints théâtres, prioritairement allemands, il le doit d’abord à Zar und Zimmermann (1837, une évocation de Pierre le Grand de Russie, qui apprit à devenir charpentier de navires, aux Pays-Bas, à Zaandam et à Amsterdam, en 1697), à Der Wildschütz (1842) et à la féerique Undine (1845). Né et mort à Berlin, Albert Lortzing a connu une vie itinérante dans sa jeunesse : ses parents, acteurs, lui ont appris la musique avant qu’il ne se perfectionne à Berlin. Marié en 1823 avec une comédienne, il compose dès l’année suivante. Son catalogue fourni est dévolu à la scène, avec des alternances de succès et d’échec. Il travaille à Leipzig comme Kapellmeister pendant plus de dix ans, avant d’être évincé. Il obtient alors un contrat à Vienne, où il est chef d’orchestre (c’est l’époque de L’Armurier), et retrouve une fonction à Leipzig. Mais les événements politiques de la Révolution de 1848 le mettent en grandes difficultés financières ; il n’obtiendra plus qu’un poste de directeur musical dans un petit théâtre de Berlin et décédera, âgé de moins de cinquante ans.
Lortzing avait pris l’habitude d’écrire lui-même certains de ses livrets. C’est le cas pour Der Waffenschmied, d’après Liebhaber und Nebenbuhler in einer Person (Amant et Rival en une même personne) du dramaturge Friedrich Wilhelm Ziegler (1761-1827), pièce qui inspira aussi deux autres compositeurs, le Morave Ferdinand Kauer en 1797 et l’Autrichien Josef Weigl en 1808. L’action se déroule à Worms, cité de Rhénanie-Palatinat, célèbre pour l’édit de Charles-Quint qui mit Luther au ban en 1521. Mais le sujet de l’opéra de Lortzing, qui se déroule au cours du même XVIe siècle, est beaucoup moins sérieux : le Comte von Liebenau veut éprouver la fidélité de Marie, fille de Hans Stadinger qui, armurier et vétérinaire, est un bourgeois hostile à la noblesse. Sous le nom de Konrad, le Comte se fait engager dans l’atelier de Stadinger comme apprenti et met la jeune femme à l’épreuve en lui dévoilant sa véritable identité. Marie ne fait pas la distinction entre les deux hommes. Une série de quiproquos et de péripéties vont en résulter. Car le Comte est convoité par Melle von Katzenstein (personnage seulement évoqué), qui envoie le Chevalier Adelhof avec la mission de pousser Marie dans les bras de Konrad. Stadinger finit par se rendre compte des intrigues, pousse une colère et laisse à sa fille le choix entre le couvent ou le mariage avec Georg, l’écuyer de Liebenau. Les aristocrates finiront par s’unir contre le bourgeois. Un subterfuge obligera ce dernier à consentir aux épousailles de Marie avec le Comte.
Lortzing a composé pour son Armurier une partition plaisante, qui n’est pas sans rappeler l’esprit du Barbier de Séville, mais l’écriture n’en est pas aussi lumineuse. Nourrie de Weber, imprégnée du style Biedermeier et de son lyrisme distrayant qui marque la culture bourgeoise de la première moitié du XIXe siècle, la partition propose une série d’airs réussis, notamment ceux de la fin du premier acte, et des ensembles bienvenus. Le sextuor de l’Acte II et surtout le septuor de l’Acte III sont savoureux, entraînants, et ont une belle saveur comique. Mahler, qui dirigea l’opéra à Vienne en 1904, considérait que Der Waffenschmied était une œuvre charmante et raffinée dans sa simplicité et l’appelait « les petits maîtres-chanteurs de Nuremberg », ce qui est lui faire beaucoup d’honneur.
Dans la présente version de concert, le rôle du colérique armurier a été confié à la basse autrichienne Günther Groissböck qui s’est distingué sur de nombreuses scènes internationales, notamment dans Verdi, Wagner ou Richard Strauss. Il sert bien le tempérament colérique du personnage, qu’il campe avec fermeté. La soprano viennoise Miriam Kutrowatz est sa fille Marie ; elle s’est déjà distinguée dans Mozart, Gluck ou Johann Strauss. Sa voix fraîche souligne bien les aspects assez frivoles du rôle. C’est le baryton anglais Timothy Connor qui incarne le prétendant de Marie, le Comte von Liebenau. Il le fait avec subtilité et une élégance qu’il partage avec l’autre aristocrate, le Chevalier Adelhof, semeur de doutes et de troubles, qui est dévolu au Russe Ivan Zinoviev. Certains solistes sont des habitués de la scène du Theater an der Wien. Les rôles de comparses sont distribués avec justesse, les chœurs sont bien en place.
Une étincelle aurait suffi pour faire de cette version une parfaite réussite. Ce n’est pas tout à fait le cas. Elle ne jaillit pas du côté de la direction d’orchestre, le chef anglais Leo Hussain adoptant une vision trop sage et trop lisse pour une comédie qui demande plus de fantaisie et d’allant pour devenir tout à fait attirante. Est-ce dû au statisme de la version de concert ? Ou à une prise de son (en live) dont la netteté n’est pas toujours au rendez-vous ? Malgré ce bémol, ne boudons pas le plaisir d’avoir à disposition une nouvelle version d’une partition qui s’écoute de toute façon sans prise de tête.
Son : 7,5 Notice : 9 Répertoire : 8 Interprétation : 8
Jean Lacroix