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Ivo Pogorelich et Beethoven, rencontre entre deux éternels enfants terribles ? Pas sûr...

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Se faire connaître par un échec à un concours n’est pas banal. Ivo Pogorelich, pianiste croate éliminé dès le deuxième tour du Concours Chopin en 1980, n’est pas banal. Et la démission du jury de Martha Argerich, scandalisée de cette sortie précoce alors qu’elle criait au génie, a mis le concurrent déchu dans la lumière médiatique.

Aussitôt, il signe un contrat d’exclusivité avec Deutsche Grammophon. Après un premier enregistrement tout naturellement consacré à Chopin, il s’attaquait, l’année suivant le concours, au Graal de la Sonate, avec l’ultime de Beethoven, l’Opus 111 (couplée avec d’étourdissantes Études Symphoniques de Schumann). Il en exhalait magistralement la stupéfiante modernité. Se lancer dans Beethoven, au disque, en commençant par la fin (Thomas Mann alla jusqu'à parler d’« Adieu à la Sonate » pour cette 32e), et le faire avec autant d’autorité, il fallait oser.

Quatorze albums pour le prestigieux label allemand. En 1996, il perd son épouse (qui était sa professeure depuis 1976, alors qu’il avait dix-sept ans). Pendant vingt ans il se fera plus rare à la scène, et ne mettra plus les pieds dans un studio. Quand il y retourne, en 2016, c’est pour Sony, avec deux Sonates de Beethoven, parmi les moins jouées : les Nos 22 et 24 (couplées avec une abyssale Deuxième Sonate de Rachmaninov, mais enregistrée plus tard). Avouons une certaine circonspection à l’écoute de cette lecture aussi exacerbée, soulignant les moindres inflexions de la musique, dans des tempos particulièrement lents.

A Genève, un Pogorelich ahurissant 

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Alors que la plupart des sociétés de concert genevoises proposent régulièrement les mêmes têtes d’affiche, l’Agence MusiKa s’ingénie à faire appel à des pianistes moins médiatisés comme Arcadi Volodos ou Ivo Pogorelich qui, au Victoria Hall le jeudi 24 février, a dédié l’intégralité de son programme à cinq œuvres majeures de Fryderik Chopin.

Depuis plus de quarante ans, sa réputation d’artiste innovateur brisant les tabous conventionnels n’est plus à faire. Et la preuve en est donnée immédiatement par la Polonaise-Fantaisie en la bémol majeur op.61 dont l’introduction est énigmatique par ses cadenze arachnéennes noyées dans la pédale qui désarticulent la transition jusqu’au a tempo giusto extrêmement retenu, s’allégeant avec l’Agitato abondamment ornementé. Quelle poésie enveloppe le Poco più lento, choral blafard qui fait chanter les basses sous la ligne de chant. Le da capo des mesures initiales contraste par sa lenteur avec la péroraison triomphante dont le dessin devient anguleux sur une main gauche délibérément appuyée. 

La Troisième Sonate en si mineur op.58 est tout aussi surprenante avec un Allegro maestoso qui accumule les brefs segments mélodiques jusqu’à la boursouflure. Mais le Sostenuto se liquéfie par les moirures d’un phrasé libre qui se pare d’arabesques évanescentes. Le Scherzo virevolte de mille couleurs qui laissent affleurer de mystérieuses inflexions dans le trio, alors que le Largo se veut péremptoire dans le declamato précédant le cantabile à fleur de touche s’appuyant sur une basse estompée qui assimilera le da capo à une lointaine réminiscence. Quant au Final, il est emporté par une houle vrombissante qui privilégie le grave au détriment d’une mélodie à peine perceptible.