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Belgian Music Days 2024 : le point sur la création belge

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Biennale de la musique belge rassemblant les musiciens des trois régions (et trois communautés, et dix provinces, et cinq cent quatre-vingt-une communes) dans une vitrine de la création des musiques enseignées dans les conservatoires, les Belgian Music Days, après Louvain, Mons et Eupen, sont cette année hébergés à Bruxelles, dans les salles de Bozar et du Conservatoire royal de Bruxelles. Alors que la ville bruisse des conversations sur les fusillades à répétition qui embrouillent le quartier de la Porte de Halle, ces cinq jours culminent avec le concert du Belgian National Orchestra le soir du jeudi, dans la salle Henry Le Bœuf où l’ensemble, sous la direction de Jac van Steen et avec le concours du Chœur de l’Institut supérieur de musique et de pédagogie de Namur, s’attaque à un programme qui mêle les origines, les esthétiques et les générations –c’est, par essence, un signe distinctif des BMD.

Jeudi, c’est apogée

Je découvre (on a toujours à apprendre) le compositeur flamand Wim Henderickx (1962-2022), disparu brutalement il y a peu dans sa soixantième année, avec une des trois créations de la soirée : outre son intérêt pour la sonologie qu’il assouvit à l’Ircam, il fréquente les conservatoires d’Anvers et de La Haye et intègre volontiers dans son travail des éléments de musique et philosophie orientales : dans La Visioni di Paura, aux origines à chercher dans Inferno, un tableau (partie d’une série de quatre) de Jérôme Bosch, peintre, au pinceau à la satire morale, d’un enfer qui se donne des airs de paradis, le compositeur fait entendre, nourri des bombes de la guerre du Golfe, qui débute alors qu’il écrit sa pièce, ses visions (poétiques) de la peur, dans des poussées sonores parfois agressives et d’une énergie cinglante.

Sa musique est prenante, sa personnalité est touchante ; c’est l’émotion qui la guide (et elle le lui rend bien), même si la raison ordonne et structure une trajectoire (celle de son court mais déjà dense parcours, et celle de ses pièces) où Apolline Jesupret (1996-) s’efforce de prendre les choses, les bonnes, les douloureuses, comme elles surgissent et quand elles surviennent. Alors que sort une première monographie chez Cypres, c’est Bleue, sa première partition pour grand effectif que l’orchestre crée ce soir : bleue comme l’eau, bleue comme l’air humide (comme des vapeurs de sel), aux textures fluides, charmeuses, qu’on voit venir sans les sentir passer, qui vous effleurent et font songer, striées de scintillements de sons -comme les poissons lancent la lumière de leurs écailles-, et bleue comme le rouleau du surfeur qui s’y engouffre –quand les notes, d’abord déviantes, se heurtent de front, avec l’entêtement brutal de l’obstiné, contre le mur- et puis, cette fin-surprise, en tire-bouchon, en queue de scorpion.

Pierre-Yves Pruvot, baryton et éditeur

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Le baryton Pierre-Yves Pruvot est bien connu du public belge. Finaliste du Concours Musical Reine-Elisabeth, il est un invité régulier de l’Opéra de Liège et d’autres scènes belges. On le retrouve en Golaud dans Impressions de Pelléas de Marius Constant (Fuga Libera), sujet de départ de cet entretien. Mais Pierre-Yves Pruvot est également le co-fondateur des éditions Symétrie de Lyon, l’une des plus belles réussites éditoriales dans le milieu de la musique.    

Vous avez participé à l’enregistrement  d’Impressions de Pelléas (rôle de Golaud), réinterprétation du Pelléas et Mélisande de Debussy  par le compositeur et chef d’orchestre français Marius Constant. Comment avez-vous découvert cette “version” si particulière ?

Constant a réussi le tour de force de « concentrer » le chef d’œuvre de Debussy en le réduisant environ d’un tiers de sa longueur. Non pas que l’opéra soit trop long, mais il s’agit plutôt ici de présenter l’ouvrage dans une forme plus intime : les personnages secondaires et le chœur disparaissent ainsi que certaines scènes, d’autres passages sont raccourcis, et la version de Constant débute avec la lecture de la lettre par Geneviève, comme une sorte de flashback. D’autre part, Constant utilise ici deux pianos seulement, qui ne cherchent bien sûr pas à se substituer à la richesse de l’orchestre debussyste, mais qui contribuent cependant à donner une dimension à la fois intime et riche de la partition de Debussy. Je connaissais l’existence de cette version réduite mais je n’avais pas eu l’occasion de m’y plonger avant la proposition que m’ont faite Inge Spinette et Jan Michiels, les deux merveilleux pianistes belges instigateurs de ce projet.