Pierre-Yves Pruvot, baryton et éditeur

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Le baryton Pierre-Yves Pruvot est bien connu du public belge. Finaliste du Concours Musical Reine-Elisabeth, il est un invité régulier de l’Opéra de Liège et d’autres scènes belges. On le retrouve en Golaud dans Impressions de Pelléas de Marius Constant (Fuga Libera), sujet de départ de cet entretien. Mais Pierre-Yves Pruvot est également le co-fondateur des éditions Symétrie de Lyon, l’une des plus belles réussites éditoriales dans le milieu de la musique.    

Vous avez participé à l’enregistrement  d’Impressions de Pelléas (rôle de Golaud), réinterprétation du Pelléas et Mélisande de Debussy  par le compositeur et chef d’orchestre français Marius Constant. Comment avez-vous découvert cette “version” si particulière ?

Constant a réussi le tour de force de « concentrer » le chef d’œuvre de Debussy en le réduisant environ d’un tiers de sa longueur. Non pas que l’opéra soit trop long, mais il s’agit plutôt ici de présenter l’ouvrage dans une forme plus intime : les personnages secondaires et le chœur disparaissent ainsi que certaines scènes, d’autres passages sont raccourcis, et la version de Constant débute avec la lecture de la lettre par Geneviève, comme une sorte de flashback. D’autre part, Constant utilise ici deux pianos seulement, qui ne cherchent bien sûr pas à se substituer à la richesse de l’orchestre debussyste, mais qui contribuent cependant à donner une dimension à la fois intime et riche de la partition de Debussy. Je connaissais l’existence de cette version réduite mais je n’avais pas eu l’occasion de m’y plonger avant la proposition que m’ont faite Inge Spinette et Jan Michiels, les deux merveilleux pianistes belges instigateurs de ce projet.

Quelle est la différence entre chanter Golaud dans le Pelléas de Debussy et dans celui de Constant ? Est-ce que la force minérale d’Impressions de Pelléas n’exacerbe pas le caractère et les tumultes intérieurs de Golaud ?

J’ai déjà eu la chance et le plaisir de jouer Golaud sur scène, un des rôles qui m’ont le plus bouleversé à interpréter. Veuf, père d’un enfant, sa rencontre avec Mélisande va entraîner chez lui un effondrement tragique. Il est proprement fasciné par cette créature étrange et ressent pour elle quelque chose qu’il n’a sans doute jamais éprouvé avant. Malheureusement, Mélisande éprouve sans doute la même fascination, mais pour le demi-frère de Golaud, Pelléas. C’est sans doute l’impuissance de Golaud qui le ronge plus que la jalousie. Il n’arrive pas à comprendre. Cette détresse profonde entraînera une folie meurtrière. Cette descente aux enfers est quelque chose de bouleversant à vivre, avec ses alternances de rudesse, de suspicion, d’impuissance et de folie meurtrière. La version de Constant resserre encore plus les tourments de Golaud car elle ne laisse quasiment plus aucune des respirations musicales ou dramatiques qui existent dans l’opéra complet. Et la proximité avec les deux pianos permet une souplesse et une mobilité musicale sans doute plus grande qu’avec l’orchestre.

Vous avez à votre répertoire de nombreux rôles. Je pense en particulier à Jago ou Gunter. Cette saison vous avez chanté Golaud dans Impression Pelléas et Gunter dans Le Crépuscule des Dieux. Comment passe-t-on vocalement entre ces oeuvres au final assez démesurées  ?

C’est peut-être la plus belle récompense de notre métier de pouvoir passer rapidement d’un univers musical et dramatique à un autre en l’espace de quelques jours, voire quelques heures ! Par exemple, j’ai enregistré ces Impressions de Pelléas deux nuits consécutives à Bruxelles alors que je répétais le très bel opéra de Benoît Menut, Fando et Lis, à l’opéra de Saint-Étienne… Et cette saison, j’ai effectivement eu le plaisir de participer à mon premier ouvrage wagnérien dans une incroyable nouvelle production du Ring à Chemnitz en Allemagne. Je me réjouis déjà des prochains cycles à Pâques et à la Pentecôte ainsi que de la reprise de la saison prochaine. Entretemps, je me serai confronté à rien moins que Wotan de la Walkyrie en assurant la doublure de Evgeny Nikitin à l’opéra de Bordeaux pour les répétitions, avant de chanter mon premier Klingsor dans Parsifal au Capitole en janvier 2020, où je serai également doublure d’Amfortas… Je ne peux pas rêver plus belle plongée dans cet univers !

Vous êtes un chanteur que le public belge croise souvent sur scène. Qu’est ce qui vous attache à la Belgique depuis votre participation à la finale du Concours Reine Elisabeth 2000 ?   

Le temps passe vite, déjà bientôt 20 ans… Je suis actuellement à la Monnaie où j’assure la doublure musicale du rôle-titre du Frankenstein de Mark Grey qui sera créé en mars : très bel ouvrage à ne pas manquer ! Je suis venu régulièrement en Belgique au cours de ces années, notamment à l’Opéra Royal de Wallonie où j’ai chanté Scarpia en alternance avec Ruggiero Raimondi il y a quelques années, et plus récemment Jago aux côtés de l’Otello de José Cura. Un très beau rôle est à suivre en 2021 dans cette maison dont le directeur, Stefano Mazzonis, m’honore de sa confiance. Je n'oublie pas non plus toutes les belles aventures partagées avec les Agrémens et mon cher Guy Van Waas, en Belgique, en France, aux Pays-Bas et en Finlande, ainsi que tous les beaux enregistrements d'un répertoire de moins en moins oublié. Tout cela contribue à nouer des relations artistiques et humaines avec les artistes belges et, au-delà, avec le public belge.

J’ai lu dans une biographie que vous avez étudié la musique tout en menant des études d’ingénieur. Vous avez préféré les notes aux chiffres ! Qu’est ce qui vous a fait bifurquer vers la carrière de musicien professionnel ?

Disons que, sur le conseil de mes parents, j’ai préféré poursuivre des études supérieures un peu plus classiques avant de me consacrer uniquement à la musique. Mais la vie avait sans doute décidé autre chose pour mon avenir… Et même si j’ai toujours chanté depuis l’enfance, je ne m’imaginais certainement pas chanteur d’opéra ! J’ai d’ailleurs commencé par l’accompagnement des chanteurs au piano, ce qui m’a permis de découvrir un répertoire immense et inépuisable. De fil en aiguille, je suis passé du clavier au creux du piano, et après avoir exploré pendant des années le répertoire du lied et de la mélodie avec mon complice Charles Bouisset, le virus de la scène a fini par me rattraper !

On vous sait passionné par les découvertes d’oeuvres rares ! Quelle sera la prochaine redécouverte à laquelle vous allez participer ?

Mon plus grand bonheur est d’alterner les grands rôles du répertoire (je serai à nouveau Scarpia et Rigoletto cet été par exemple) avec des œuvres complètement inconnues ou oubliées, voire nouvelles ! Ainsi, cette saison, j’ai participé à la création allemande de l’Amleto de Franco Faccio sur un livret d’Arrigo Boito dans la très saisissante production d’Olivier Tambosi imaginée pour le festival de Bregenz. La saison prochaine, je participerai à la création de l’opéra de Marc Bleuse d’après L’Annonce faite à Marie de Claudel à Toulouse. Puis je chanterai Sancho Pança dans le Don Quichotte de Massenet à l’opéra de Tours. Dans les saisons suivantes, je participerai entre autres aux rares Nerone de Boito et La Nonne sanglante de Gounod. J'ai participé à plusieurs dizaines d'enregistrements, dont une bonne part de premières mondiales : c'est toujours grisant de n'avoir aucune référence dans l'oreille et d'apporter sa pierre à l'édifice !

Vous êtes également le co-fondateur des Editions lyonnaises Symétrie. Qu’est ce qui vous a entraîné dans cette aventure éditoriale en plus d’une carrière de chanteur qui vous emmène à travers le monde  ?

Symétrie fêtera ses 20 années d’existence en octobre 2019, et je suis fier du travail accompli avec mes associés : notre catalogue peut s’enorgueillir d’ouvrages extrêmement précieux sur des compositeurs et des répertoires inconnus et qui constituent pour la plupart des ouvrages de référence, souvent récompensés d’ailleurs. Sans oublier tout le catalogue de partitions, dont l’éclectisme parle de lui-même ! Quand nous avons fondé notre entreprise, tout le monde nous a ri au nez, particulièrement les éditeurs français historiques. Depuis, la plupart ont disparu ou ont été rachetés par des multinationales plus intéressées par les droits d’auteur que par le travail éditorial. Ainsi va la vie… Symétrie m’a toujours permis de relativiser certains aspects de la vie de chanteur : j’ai toujours eu besoin d’être bien occupé, même si avec l’âge – le demi-siècle s’approche à grand pas – j’apprécie de plus en plus mes rares moments d’oisiveté !

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Le site de Pierre-Yves Pruvot : www.pierreyvespruvot.com

Le site des éditions Symétrie :  https://symetrie.com/fr

Crédits photographiques : Olivier Guyot Photographies

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