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Jonathan Berman, à propos de Franz Schmidt 

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Le chef d’orchestre Jonathan Berman a enregistré une intégrale des symphonies du compositeur Franz Schmidt au pupitre du BBC Wales Symphony Orchestra (Accentus). Jonathan Berman est particulièrement engagé dans la diffusion de l'œuvre du grand musicien, un legs que l’on ne connaît que trop peu dans les pays francophones. A l’occasion de cette parution qui fera date, Crescendo Magazine s’entretient avec le chef d'orchestre à propos de Franz Schmidt. 

Vous semblez passionné par la musique de Franz Schmidt. Que représente pour vous ce compositeur dans l'histoire de la musique ?

Pour moi, Franz Schmidt est l'un des grands artisans de la musique classique. Avec des compositeurs comme Ockeghem, Palestrina, Bach, Beethoven, Webern, Ligeti et Ruggles, Schmidt semble créer de la musique à partir de la musique elle-même. Ce que je veux dire, c'est que toute la tension et le drame de sa musique sont construits à partir de notes, de l'équilibre d'une note par rapport à une autre, puis de ces deux notes par rapport à une troisième. Il ne s'agit pas d'un simple exercice scolaire de contrepoint, mais d'une tentative presque philosophique de créer à la fois de la variation et de l'unité.

Il a créé toute sa musique à partir du contrepoint, ce qui signifie que les matériaux musicaux de base sont tous nés des mêmes relations “intervalliques” et de l'attraction gravitationnelle inhérente entre les notes. Cela n'est pas sans rappeler la manière dont l'artiste japonais Katsushika Hokusai construit ses dessins et ses estampes à partir de plans géométriques et de cercles (même si on ne le devinerait jamais en les voyant -on remarque simplement une connectivité entre des objets apparemment différents- un sentiment d'appartenance à un ensemble). 

Dans la musique de Schmidt, la plus intégrée, il n'y a pas une mesure de la Symphonie n°4 qui ne soit liée au solo de trompette d'ouverture de cette partition, ou tiré de la pièce la plus ancienne proposée dans notre coffret : les extraits de la musique de l’opéra Notre-Dame. Tout le matériel thématique est basé sur la même phrase de base.

D'un point de vue formel, Schmidt essayait toujours de rassembler ses pièces en plusieurs mouvements en des formes singulières. Dans toutes ses symphonies, il existe des relations harmoniques entre les mouvements, souvent à un point tel que les deux derniers mouvements sont liés en un seul paysage musical (2e et 3e symphonies). Dans la Symphonie n°2, Schmidt chevauche deux formes traditionnelles, en combinant une série de variations avec un scherzo et un trio qui forment les trois dernières variations (scherzo, trio puis à nouveau scherzo). Dans les extraits de Notre-Dame et la  Symphonie n°4, Schmidt chevauche à nouveau plusieurs formes ; chaque pièce entière est une forme sonate unique, mais englobe d'autres formes. Les différents mouvements sont ainsi reliés les uns aux autres et chaque mouvement remplit une fonction différente au sein de la forme sonate unique.

Le développement de la forme chez Schmidt est directement lié à son intérêt pour le rapprochement de musiques ou de personnages apparemment différents, comme s'ils étaient taillés dans le même bloc de pierre -de la même manière qu'Italo Calvino ou Banana Yoshimoto combinent des histoires courtes apparemment distinctes en une seule entité dramatique.

Tout cela peut sembler assez technique, mais la réalité de ce que j'essaie de décrire est le fait que l'expérience de l'écoute de la musique de Schmidt consiste à se connecter à une imagination en dehors de nous-mêmes et à être emmené dans un voyage complètement intégré qui a le pouvoir de nous émouvoir de manière nuancée et complexe.

Cette remarque peut sembler un peu idiote, car elle soulève la question suivante : "Toute la musique n'est-elle pas bonne à écouter ?" Mais je pense que nous parlons, jugeons ou essayons souvent de prouver la qualité et la valeur de la musique en nous basant sur des facteurs extra musicaux. 

Cependant, la musique de Schmidt communique tout à travers les notes qu'il choisit, les relations audibles entre elles, les rythmes avec lesquels il nuance ces relations et la façon dont il structure ces gestes dans le temps.