Ouverture de Saison à la Fondation Victoria de los Ángeles
Lorsqu’un mélomane visite Barcelone, ses pas le porteront tout naturellement vers ce joyau architectural qu’est le Palau de la Mùsica, où la programmation est incontestablement alléchante. Il y a, cependant, un autre lieu magique et peu connu où la musique peut être magnifiée par la beauté architecturale du lieu : c’est la salle Domènech i Muntaner de l’Hôpital de Sant Pau. Concepteur des deux bâtiments et alter ego du génial « moderniste » Gaudí, Domènech fut un bâtisseur inventif d’espaces et de décors inspirés par la nature ou par des légendes. Qui ont aussi inspiré le Wahnfried, la maison de Richard et Cósima Wagner à Bayreuth. Cette salle ne fut pas conçue pour le concert, mais son acoustique est plus qu’agréable et la Fondation Victoria de Los Ángeles y a trouvé un espace emblématique pour produire ce qui est l’un des buts principaux de cette association : le récital de « Lieder » et la pédagogie qui l’entoure. Ce n’est pas un secret que la grande artiste barcelonaise consacra une part prépondérante de son activité au récital et qu’elle considérait que l’opéra ne devait jamais concentrer exclusivement la démarche artistique d’un bon chanteur.
Elena Pankratova et Joseph Breinl nous ont offert un récital inspiré par l’activité wagnérienne de Victoria. En effet, elle reste la seule cantatrice espagnole à avoir chanté sur les planches du sanctuaire de Bayreuth. Sous le titre « Mild un leise » -les premières paroles de la scène de la mort d’Isolde- elle commencera par un choix de mélodies parmi les plus émouvantes de Gustav Mahler. Sa voix est robuste : elle est une de grandes wagnériennes actuelles et l’instrument impose par la richesse des résonnances et par la densité du son. Mais c’est un aspect quasi anecdotique de sa prestation : le maître-mot ce sera précisément l’émotion qu’elle parvient à transmettre à l’auditeur. Ce n’est pas banal qu’en finissant son « Ich bin der Welt abhanden gekommen » ses yeux commencent à fondre en larmes… Je sais peu de son éducation et son parcours, mais la précision, la fluidité de sa diction allemande et son à propos stylistique dans Mahler, en passant des phrases raffinées aux élans et tourbillons de « Blicke mir nicht in die Lieder » et trouvant des sommets de concentration affective dans « Um Mitternacht », rompent radicalement avec le vieux cliché des grandes voix d’outre-Oural au style plus ou moins douteux… Suivront les célèbres « Wesendonck Lieder », qui font probablement partie avec le « Sigfried Idyll » des pages les plus inspirées de Wagner. Si l’on ne peut pas considérer l’œuvre de Mathilde Wesendonck parmi les sommets de la poésie allemande, on doit lui reconnaître un langage allégorique, euphonique et chargé d’images très en phase avec la sensibilité fin de siècle de l’époque, et l’on comprend facilement qu’elle ait inspiré la créativité de son amant. Mais, sans vouloir choquer les wagnériens inconditionnels, ce climat poétique épuré contraste avec la platitude littéraire de cette litanie que semble réciter Isolde dans son air final, Liebestod, pendant que la musique véhicule un prodigieux tourbillon d'agitations liées à l’amalgame entre Eros et Thanatos. Le hiatus entre le Wagner poète et le Wagner compositeur est saillant.