Mots-clé : Marco Filippo Romano

Une comédie cruelle : Cosi fan tutte à Liège

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Oui, "Cosi fan tutte" est une comédie cruelle : c’est un jeu, si drôle, n’est-ce pas, mais qui en fait tourne mal malgré ses apparences heureuses finales.

Deux jeunes hommes, Ferrando et Guglielmo, aiment deux jeunes filles, Fiordiligi et Dorabella. Bonheur. Mais Don Alfonso, un vieux sage retors, leur affirme que les grands élans amoureux de celles-ci ne résisteront pas à la tentation. Ils se récrient. Chiche, dit le vieux. Chiche, rétorquent-ils. On prétend donc qu’ils doivent partir à la guerre. Adieux déchirants. Très vite, deux « Albanais » surgissent… nos deux amoureux déguisés évidemment. Et commence alors le grand jeu de la séduction… Une séduction doublement victorieuse, car, comme le chante Don Alfonso : « Cosi fan tutte – Ainsi font-elles toutes ». Faux mariage, réapparition des fiancés-soldats, révélation… et retour à la normale.

Vraiment ?

Les jeunes femmes ont été humiliées et on peut s’interroger sur ce que pourront devenir des couples pareillement restaurés… Comédie cruelle, et qui résonne plus que gravement en nos temps de prise de conscience des discriminations négatives.

Mais ce tristement drôle livret de Da Ponte est transcendé par la musique de Wolfgang Amadeus Mozart. Une musique fascinante, subjugante dans ses multiples modalités : a-t-on jamais mieux dit le bonheur, l’amour, la tentation, les dilemmes, les abandons, les douleurs, les repentirs, le jeu ? Quelles atmosphères musicales ! Quel émerveillement quand on les découvre, quel bonheur quand on les retrouve et les anticipe.

A Turin, Cimarosa et Korngold selon Pizzi 

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Depuis toujours, le Teatro Regio de Turin a l’une des programmations les plus intelligentes de la péninsule. Cette saison, après une ouverture avec un ouvrage aussi rare que Les Pêcheurs de Perles, des chefs-d’oeuvre attirant le grand public comme Tosca et Carmen alternent avec un Matrimonio segreto plus rare et une Violanta de Korngold dont est donnée la première représentation en Italie. Et Pier Luigi Pizzi se charge des deux productions avec la patte de grand seigneur qu’on lui connaît.

Dans le cas du melodramma giocoso de Domenico Cimarosa, il reprend le spectacle qu’il avait présenté en juillet dernier au Festival de la Valle d’Itria à Martina Franca en concevant lui-même mise en scène, décors et costumes. Comme il l’explique dans le programme, il avait collaboré avec Sandro Sequi en 1971 en se chargeant de la partie visuelle d’une présentation au Teatro Olimpico de Rome ; mais il avait jugé l’opéra monotone et ennuyeux. En repensant récemment le sujet, sa perception a radicalement changé. Comme il l’a fait à Pesaro pour La Pietra del Paragone et Il Barbiere di Siviglia, il modernise la trame en la transposant dans un loft luxueux ; car Don Geronimo, le père de Carolina et Elisetta, est marchand d’art exhibant sur ses murs les toiles d’Alberto Burri, Agostino Bonalumi, Lucio Fontana ou Achille Castiglioni émanant des ventes de Sotheby’s ou Christie’s. Et Paolino, l’amoureux transi, devient son assistant, le Comte Robinson, l’un de ses clients issu de la noblesse qu’il rêve de marier à sa seconde fille, ce qui flatterait son amour-propre de parvenu arborant fièrement un atroce complet jaune sur chemise orange, tandis que son futur beau-fils marie avec goût le bleu et le blanc. Les deux sœurs et leur tante passent de déshabillés vaporeux à d’excentriques tenues bariolées devant un secrétaire en t-shirt noir et jeans blanc. En ce monde clos à six personnages, plane un érotisme latent qui ne demande qu’à éclater au grand jour pour le bonheur du spectateur qui se gausse d’une Fidalma frustrée qui se jette sur Paolino en lui arrachant son maillot ou le prétendu fiancé assiégeant sans vergogne tout jupon qui se présente à sa vue. Et en près de trois heures de spectacle, l’on ne s’ennuie pas un instant.