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Trois jeunes pianistes au Lille Piano(s) Festival

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Outre le marathon Mozart (intégrale des sonates pour piano et 15 des 27 concertos pour piano), proposé par Alexandre Bloch pour le dernier festival de son mandat, Lille Piano(s) Festival a, comme chaque année, mis en lumière trois des jeunes pianistes lauréats de concours internationaux. 

Le dimanche 16 juin, à la gare Saint Sauveur, Rodolphe Menguy, (2ème Prix du Concours Les Étoiles du piano 2023), Kevin Chen (1er Prix du Concours Franz Liszt en 2021, du Concours de Genève 2022 et du Concours Arthur Rubinstein 2023) et Masaya Kamei (1er Prix du Concours Long Thibaud 2023) se succèdent devant un piano Maene aux cordes parallèles. 

Le Français Rodolphe Menguy a un jeu dynamique à la mesure de sa vision globale de grande envergure. Dans la Sonate de Bartók et les Danses de Marosszek de Kodály, qu’il avait gravées sur son premier disque chez Mirare, le caractère brut de ces musiques va de pair avec la vivacité de ses doigts. Il excelle dans l’expression d’une certaine sauvagerie dans une écriture apparemment naïve mais en réalité extrêmement savante, avec un élan sans cesse renouvelé. Mais le piano Maene semble sensiblement délicat pour ce genre de répertoire qui nécessitera une résonance plus ample, tout comme dans la Sonate de Liszt. Si Menguy y modèle bien son éventail sonore entre double piano et double forte et si sa caractérisation de chaque séquence est convaincante, la vigueur prend souvent dessus au détriment de détails subtils. Mais son énergie cache une musicalité remarquable qu’il va certainement développer encore davantage. 

La triple médaille d’or à Budapest, à Genève et à Tel-Aviv, le Canadien Kevin Chen a, à seulement 20 ans, déjà une carrière internationale. Sa sonorité douce ne laisse pas imaginer qu’il joue sur le même instrument que le récital précédent. Pour le deuxième recueil des Années de pèlerinage de Liszt, l’intériorité est menée avec une poésie dans le son et une grande élégance régissant des phrasés, surtout lorsqu’elle s’exprime à travers des pièces lentes et calmes. Mais les deux Sonnets de Pétrarque sont marqués par une construction assez bancale. Le pianiste prend vraiment du temps pour les parties lentes, et quand viennent les moments rapides, on soupire de soulagement. Un déséquilibre donnant l’impression de stagnation, alors que Chen semble concentré sur l’intimité du compositeur. Ce sentiment est encore plus fort dans Après une lecture du Dante, qui est une œuvre de contraste. Mais le contraste est tiré à l’extrême qui, à la limite, disloque l’œuvre. Une vision plus globale serait vivement la bienvenue. En revanche, Liebeslied de Schuman/Liszt en bis est une grâce incarnée, toutes les réserves se sont dissipées. 

60e anniversaire du festival de la Grange de Meslay : le premier week-end, piano en majesté

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PHOTO GERARD PROUST
8 JUIN 2024 GRANGE DFE MESLAY
60 ANS FETES MUSICALES EN TOURAINE
ROSE RICHTER PLANTATION

En 1963, à l’occasion de son récital à Tours, Sviatoslav Richter a eu un coup de cœur pour la grange du XIIIe siècle. Dès l’année suivante, il crée un festival qui fête cette année ses 60 ans. Le vendredi 7 juin, Jonathan Biss ouvre la festivité avec un magistral récital Schubert, suivi d’un autre récital de piano par Dmitry Masleev le samedi 8 et un majestueux concert par la basse Alexander Roslavets avec Andrei Korobeinikov au piano. Un week-end de haute volée, d’une extraordinaire concentration musicale et humaine.

Si le nom du pianiste américain Jonathan Biss n’est pas encore familier du grand public français, son concert avec l’Orchestre de chambre de Paris en mai dernier l’a fait connaître un peu plus, d’autant que son programme était bien original : il s’agit du concert The Blind Banister de Timo Andres (1985-), dans le cadre du projet Beethoven/5, commande de cinq concertos pour piano en relation avec ceux de Beethoven. Mais à Meslay, il captive l’audience avec les deux dernières sonates de Schubert. Ses subtiles oscillations de tempo bercent nos oreilles tout au long du récital. Chaque noire ou chaque croche, écrites de la même manière sur la partition, n’ont pourtant jamais la même valeur. Elle se dilate ici et se rétrécit là, la différence est si infime que cela est à peine perceptible. Or, ce balancement est organique. Sans s’en apercevoir, on suit ses notes et attend ce qui va venir, pour éprouver le malin plaisir de goûter un millième de seconde de moins ou de plus par rapport à la mesure qui reste, elle, intransigeante. Un péché mignon des mélomanes, assurément. Si la lenteur du deuxième mouvement du D. 960 est absolument extraordinaire, son voyage intérieur est tel qu’on ne la sent plus. En l’écoutant, on perd totalement -et nous insistant sur ce mot- la notion habituelle du temps. Ou le temps n’existe plus. Pour autant, il ne cherche jamais d’effet, Biss joue tout simplement Schubert. Mais c’est bien du Schubert filtré par Biss. À travers ces sonates, le pianiste exprime sa personnalité qui ne prend jamais le dessus sur le compositeur. L’équilibre est tout aussi subtil que le balancement, il est minutieusement mis en place jusqu’à devenir complètement naturel. Et on sait que c’est un des signes d’une personnalité musicale exceptionnelle. Ce fut un moment suspendu, et ce moment fut la musique de Schubert. 

Le récital de Dmitry Masleev le samedi soir a une tout autre allure. D’abord le programme, constitué de courtes pièces -la plus conséquente reste Un Nuit sur le Mont chauve de Moussorgski / Tchernov. La soirée est parsemée de quelques (relatives) raretés, comme des Nocturnes de Glinka et de Balakirev, ou de Fragments, extraits de Trois pièces de Rachmaninov (1917). Sa qualité, indéniable, est un lyrisme dans des moments calmes ou dans des pièces lentes. Ni exacerbés ni sentimentaux, ces moments sont de véritables méditations. Introspectives, songeuses ou absorbées, son interprétation brille d’une sonorité cristalline et apaisante. Dans son jeu, quelques ornements sont étincelants, comme un sursaut d’éclat qui illumine tout avant de retomber dans un état contemplatif.