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A Genève, deux orchestres pour un Sacre chorégraphié

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Au cours de chaque saison, l’Orchestre de Chambre de Genève présente en divers lieux une série de concerts qui attire l’attention d’un vaste public par la singularité de ses choix. La preuve en est donnée par le programme affiché au Bâtiment des Forces Motrices (BFM) de Genève le 7 octobre par l’Orchestre de Chambre de Genève collaborant avec l’Orchestre des Pays de Savoie pour accueillir une troupe de danseurs venus de treize pays d’Afrique afin de représenter Le Sacre du Printemps dans la chorégraphie de Pina Bausch.

Durant deux ans, ce spectacle émanant de la Fondation Pina Bausch, de l’Ecole des Sables et du Sadler’s Wells de Londres a été proposé 120 fois un peu partout dans le monde. Et c’est à Genève qu’a lieu l’ultime reprise.

Le rideau se lève sur un solo que Pina Bausch élabora en 1971 sur une musique électronique de Pierre Henry. Son titre, Philips 836 887 DSY, fait allusion au label et au numéro de catalogue de la première publication en LP de Spirale, une pièce brève de Pierre Henry. Créé par Pina Bausch elle-même, ce solo a été rarement représenté sur scène. Aujourd’hui, la jeune Eva Pageix en est la spécialiste. Sur une musique enregistrée, cette pièce de six minutes est étirement d’un corps se redressant en gestes convulsifs et en volutes vers le ciel dans une lenteur extrême qui finira par figer la silhouette dans une attitude hiératique.

Lui succède sur le plateau Germaine Acogny, danseuse franco-sénégalaise défiant ses quatre-vingt-un ans pour présenter son Homage to the Ancestors qu’elle a créé en 2023. Fondant son premier studio de danse à Dakar en 1968, elle a développé sa propre technique de danse africaine en combinant l’influence des danses héritées de sa grand-mère, prêtresse yoruba, et sa connaissance des danses traditionnelles africaines et occidentales. Sur une musique de Fabrice Bouillon-LaForest comportant une légère percussion et une voix de femme qui psalmodie, Germaine Acogny nous fait assister à un véritable rite funéraire que ponctue la lueur de bougies formant un cercle pour cultiver le souvenir des disparus d’un autre âge.

Soirée Joséphine Baker au TCE

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La saison danse du Théâtre des Champs Elysées s’est ouverte le mercredi 24 septembre avec un programme autour de Joséphine Baker pour le centième anniversaire de sa première apparition parisienne (lors de la Revue Negre) sur cette scène art déco. Cette occasion, plus joyeuse que le cinquantenaire de sa disparition permet de célébrer cette femme. Si le Sacre du printemps de Pina Bausch peut paraître éloigné de la figure des années folles, la création Joséphine par Germaine Acogny fait vivre sa mémoire. 

Qui d’autre que Germaine pour Joséphine ? 

Germaine Acogny, danseuse et chorégraphe de 81 ans est une figure de la danse contemporaine africaine. On ne pouvait pas rêver mieux que cette femme pour réenchanter la vie de Joséphine Baker. 

Germaine Acogny est une grande pédagogue et fut directrice de plusieurs écoles d’envergure mondiale (Mudra Afrique, créé par Béjart, puis l’Ecole des Sables qu’elle a fondée en 1998 près de Dakar). Dans une démarche humaniste, Joséphine Baker adopta 12 enfants de différentes origines, qu’elle surnomma affectueusement “la tribu arc en ciel”. Germaine Acogny est une femme libre et indépendante, comme en témoigne sa vie privée (elle refuse la polygamie de son mari et élève seule ses deux premiers enfants). 

Pierre Boulez....moine et missionnaire

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En contrepoint à notre interview du pianiste Ralph van Raat qui propose une première mondiale au disque d'une oeuvre de Pierre Boulez, nous vous proposons de relire intégralement l'entretien que le compositeur/chef d'orchestre avait accordé, en 2000, à Crescendo Magazine. Alors qu'il préparait la tournée de ses 75 ans avec le London Symphony Orchestra, il avait reçu Bernadette Beyne, co-fondatrice de Crescendo Magazine dans son bureau de l'IRCAM.

Vous venez d'enregistrer la 8e Symphonie de Bruckner, un compositeur auquel vous ne sembliez pas attaché… Pourquoi Bruckner… peut-être Sibélius? 

Un représentant de la Philharmonie de Vienne m'a dit un jour: "Vous n'avez jamais dirigé Bruckner. Pourquoi?". Bruckner ne faisait pas partie de mon éducation. Vous allez apprécier cet humour volontaire ou involontaire, mais les partitions de Bruckner, je les ai, complètes. Et savez-vous où je les ai achetées? A Darmstadt, pendant les cours d'été; c'est vous dire que cela remonte loin: je n'ai plus remis les pieds à Darmstadt depuis 1965! A la suite de quoi je les ai achetées? Probablement à la suite d'une conférence ou d'une conversation avec Adorno. En tout cas, j'en avais pris connaissance à cette époque mais je ne les ai jamais dirigées. Quand les musiciens de l'Orchestre de Vienne m'ont demandé pourquoi je ne les dirigeais pas, je me suis dit: "pourquoi pas"? Ca m'intéressait comme cela m'avait intéressé de diriger Parsifal quand Wieland Wagner me l'avait demandé en 1965. Il était encore plus incongru de diriger Wagner à cette époque que Bruckner aujourd'hui, des univers qui ne m'ont pas été familiers durant mon éducation. Je me souviens que Messiaen n'a jamais analysé une seule note de Bruckner; c'est le seul compositeur à propos duquel je l'ai vu sarcastique, lui qui, en général était d'une grande bonté. Un jour, il m'a dit: "ah! Bruckner, il n'y a que des ponts". Traduisez: "côté développements, il n'a pas beaucoup d'idées". C'était un espèce de préjugé français dont je me suis aujourd'hui débarrassé.

Sibélius, c'est autre chose. Il y a beaucoup de choses qui ne me passionnent pas chez Sibélius. J'ai parlé avec le manager du London Symphony et il a été question de la 7e Symphonie. Mais rien n'est encore sûr. J'ai entendu de superbes interprétations de Sibélius par George Szell avec l'Orchestre de Cleveland lorsque je partageais avec lui une tournée au Japon. C'était en 1967. Il y dirigeait la 4e. Si je m'aiguillais là-dessus, c'est quand même la 7e qui m'intéresserait davantage.