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Macbeth de Pascal Dusapin : très beau et très laid, inventif et convenu

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A peine deux ans après sa création remarquée à La Monnaie à Bruxelles, « Macbeth Underworld », le huitième opéra de Pascal Dusapin, nous revient dans une nouvelle co-production, celle du Staatstheater Saarbrücken et des Théâtres de la Ville de Luxembourg.

C’est à la fois très beau et très laid, inventif et convenu. 

La beauté et l’inventivité sont musicales ! Pascal Dusapin nous invite à retrouver le couple maudit dans « un monde souterrain », aux enfers, en enfer. Macbeth et Lady Macbeth sont condamnés à revivre leurs péripéties maudites : « Regardez ! Ils reviennent encore et encore. Ils vont chanter encore et encore les choses qu’ils ont faites. » Cette idée de « retrouver » les personnages d’une grande oeuvre, Pascal Dusapin l’a déjà exploitée dans son « Passion » : Eurydice refusait de suivre Orphée, préférant demeurer aux enfers.

La partition, bien servie par le Saarländisches Staatsorchester dirigé par Julius Thorau, est magnifique, convaincante et séduisante dans des exigences qui ne rebutent pas. Le compositeur multiplie les atmosphères, avec notamment de superbes séquences confiées à un archiluth solo, des interventions d’un orgue, une panoplie absolument significative de percussions, dont certaines, exotiques, viennent même de la collection personnelle de Pascal Dusapin. Vocalement, il donne à entendre aussi, avec une identique exigence, notamment dans l’amplitude des tessitures, les différents modes d’expression, du chuchotement au style récitatif, de la chanson populaire au sprechgesang. C’est convaincant parce que dramaturgiquement pertinent. Une partition qui justifie donc et justifiera encore des reprises.

Pascal Dusapin, compositeur

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Après la première mondiale retentissante de son dernier opéra, Macbeth Underworld, à la Monnaie en septembre dernier, Pascal Dusapin était de passage à Bruxelles où sa maison d’opéra de prédilection, BOZAR et le Belgian National Orchestra ont donné un bel aperçu de son œuvre. Au programme, le concerto pour violon Aufgang le 14 février, le Quatuor à cordes n°4 le 16, et Extenso (solo n°2 pour orchestre) le 22. Le 16 mai prochain aura lieu la création belge du concerto pour orgue et orchestre Waves

En dépit d’un agenda chargé, le compositeur nous avait donné rendez-vous à son hôtel. Son train matinal au départ de Strasbourg avait pris du retard. L’incident aurait presque été digne d’un opéra de John Adams : à mi-chemin, le convoi s’était immobilisé et une unité d’élite était montée à bord; un homme armé (celui d’Ockegem, de Josquin Des Prez ou de Palestrina ?) avait été aperçu arpentant un tunnel. Résultat des courses : de déviation en déviation, neuf heures de trajet pour rejoindre Bruxelles ! En de telles circonstances, d’aucuns auraient annulé l’entrevue. Pas lui. Exténué mais heureux comme Ulysse d’avoir enfin gagné ses pénates, il s’excusa d’ « avoir un peu l’air d’un fauve », s’empressa de combler son estomac vide depuis tôt le matin et nous accorda, entre deux bouchées, un entretien convivial de plus d’une heure, intarissable comme à chaque fois qu’il parle de son art. Avant de s’éclipser en coup de vent vers son prochain rendez-vous…

Lors de la remise des Prix Caecilia 2019, le 11 février dernier, vous avez tenu des propos très chaleureux envers la Belgique -et en particulier à l’égard de la Monnaie, qui, à vous croire, ne serait rien moins que votre « maison d’opéra de cœur »…

C’est tout à fait comme ça que je considère la Monnaie. C’est la seule maison d’art lyrique -et j’ai pourtant généralement de la chance avec l’opéra- à m’avoir consacré sept ou huit productions, dont trois créations mondiales : c’est au Théâtre Royal de la Monnaie qu’ont eu lieu les premières de Medeamaterial, Penthesilea et Macbeth Underworld, respectivement sous le mandat de Bernard Foccroulle et sous celui de Peter de Caluwe ; et Passion, O Mensch! et To Be Sung, ainsi qu’une nouvelle Medea, y ont également été portés à la scène. Parler de « fidélité » n’est donc pas exagéré. Et puis, je me suis toujours senti très bien à la Monnaie. À vrai dire, la Belgique, depuis ma prime jeunesse, a été toujours été très généreuse à mon égard ; mes œuvres y sont régulièrement exécutées en concert. L’une de mes grandes partitions orchestrales et chorales, Melancholia, a, elle aussi, été créée par l’Orchestre de la Monnaie. S’ajoute à tout cela l’amabilité du public et des interprètes belges. C’est très particulier. Les gens avec lesquels j’ai travaillé ici ont toujours fait preuve d’une grande bienveillance envers moi et à l’égard de mon travail. Mes rapports avec eux sont toujours assez doux et très professionnels. Je le dis sans aucune démagogie et sans vouloir flatter personne. 

Revivre, remourir, encore et encore

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« Macbeth Underworld » de Pascal Dusapin, dirigé par Alain Altinoglu et mis en scène par Thomas Jolly –

Une création inaugure la nouvelle saison de La Monnaie à Bruxelles : une relecture-prolongement du « Macbeth » de Shakespeare due au compositeur français Pascal Dusapin. Si sa partition, son interprétation et sa mise en scène convainquent, le déferlement de son livret aux propos parfois trop denses et composites porte atteinte aux émotions.

Il nous arrive d’imaginer que des personnages de romans, de pièces de théâtre ou d’opéras ont leur existence propre et que, livre refermé ou rideau baissé, ils continuent à exister, donnant une suite à ce qu’ils nous ont fait partager ou le revivant dans l’espoir de mieux le comprendre et, qui sait, d’en modifier le cours. Pascal Dusapin et Frédéric Boyer, son librettiste, ont concrétisé pareille imagination : nous voilà confrontés au couple maudit qui, aux enfers ou en enfer, reprend, déformé par les souvenirs, les obsessions ou les remords, son parcours fatal. Celui qui à partir des prédictions royales des sorcières les a conduits à des meurtres successifs, aux ébranlements personnels, au suicide, au châtiment.