Revivre, remourir, encore et encore

par

« Macbeth Underworld » de Pascal Dusapin, dirigé par Alain Altinoglu et mis en scène par Thomas Jolly –

Une création inaugure la nouvelle saison de La Monnaie à Bruxelles : une relecture-prolongement du « Macbeth » de Shakespeare due au compositeur français Pascal Dusapin. Si sa partition, son interprétation et sa mise en scène convainquent, le déferlement de son livret aux propos parfois trop denses et composites porte atteinte aux émotions.

Il nous arrive d’imaginer que des personnages de romans, de pièces de théâtre ou d’opéras ont leur existence propre et que, livre refermé ou rideau baissé, ils continuent à exister, donnant une suite à ce qu’ils nous ont fait partager ou le revivant dans l’espoir de mieux le comprendre et, qui sait, d’en modifier le cours. Pascal Dusapin et Frédéric Boyer, son librettiste, ont concrétisé pareille imagination : nous voilà confrontés au couple maudit qui, aux enfers ou en enfer, reprend, déformé par les souvenirs, les obsessions ou les remords, son parcours fatal. Celui qui à partir des prédictions royales des sorcières les a conduits à des meurtres successifs, aux ébranlements personnels, au suicide, au châtiment.

Ce que nous entendons et ce que nous voyons exalte cet « éternel retour ». La partition de Pascal Dusapin dit les états d’âme, les interrogations, les décisions irrévocables, les doutes, la fatalité. Magnifiée sous la baguette d’Alain Altinoglu, en elle rien de gratuit, jamais elle n’illustre, toujours elle est actrice de ce qui se « rejoue ». Dans le tintamarre de la tragédie inexorable, dans les magnifiques instants de solitude douloureuse de Lady Macbeth, aux sons d’un archiluth, dans un superbe « Requiem », dans des traits d’orgue ou des percussions inédites. Les interventions des « sœurs bizarres » (on ne dit plus sorcières !) sont de remarquable intensité démoniaque. Georg Nigl, Macbeth, est chez lui chez Dusapin. Manifestement, ces deux-là se sont trouvés, pour le meilleur. Magdalena Kožená, confère à sa Lady Macbeth une personnalité nuancée. Elle n’est pas réduite aux élans d’une ambition folle, elle est plus complexe : « La haine souffle une bulle de désespoir dans mon cœur ». Quant au portier, Graham Clark, il n’est pas que le comique shakespearien de service, il est davantage ordonnateur, commentateur, maître de cérémonie.

Mais ce qu’il faut mettre en exergue, c’est comment cette partition s’accomplit dans la mise en scène de Thomas Jolly. Avec Bruno de Lavenère (décors) et Antoine Travert (éclairages), il nous plonge dans un univers fantomatique décisif : le plateau tourne et nous révèle, dans leurs architectures et leurs lumières, des lieux significatifs, arbre immense, muraille ou portail monumentaux, chambre de toutes les angoisses… 

Dans la mesure où les « sons et lumières » sont si expressifs, si révélateurs, tout serait-il pour le mieux ? Non ! Un problème se pose à cause du livret. Certes emprunté essentiellement à Shakespeare, mais « réinterprété dans un texte inédit qui se voudrait comme une machine lyrique contemporaine de l’œuvre dont il est inspiré » (Frédéric Boyer), déferlant, impossible à saisir exactement dans son déroulement, trop dense, lesté de sous-jacences, obscur parfois. Compliquant l’adhésion à l’œuvre et compromettant nos émotions sans que cela ajoute à la mise en perspective. Dommage. 

Stéphane Gilbart

Bruxelles, La Monnaie, le 24 septembre 2019

Crédits photographiques  : Baus

 

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