Sous le titre ‘Saxo et Boléro’, Jonathan Nott et l’Orchestre de la Suisse Romande proposent un programme éclectique qui, outre la célébrissime partition de Ravel, juxtaposent Maurice Duruflé, John Williams et Harrison Birtwistle.
L’on croit souvent que la production de l’organiste Maurice Duruflé se limite à son Requiem, une Messe, quelques motets et pièces d’orgue. Mais l’on ignore l’existence de pages orchestrales. Jonathan Nott a donc la judicieuse idée de nous révéler les Trois Danses pour orchestre op. 6 que Paul Paray créa aux Concerts Colonne en 1936. Utilisant une large formation comportant notamment cinq percussionnistes, cette partition éblouit par la luxuriance de la palette orchestrale. Sur un canevas voilé de mystère prend forme le Divertissement que développent les flûtes répondant aux clarinettes et cors en suscitant un tourbillon festif que les bois rendent onctueux. Le cantabile des violoncelles est amplifié par les cordes pour parvenir à un tutti paroxystique puis retomber dans l’ambiance étrange du début. La Danse lente est tout aussi envoûtante à partir d’arpèges de harpe enveloppant le dialogue des bois ponctué par le pizzicato des cordes en points de suspension. Mais le discours s’amplifie en inflexions langoureuses qui deviennent effervescentes avant de s’émietter dans l’onirisme serein du début. Tambourin fait effectivement appel à son ostinato prêtant un caractère agreste au pimpant duo du basson et de la clarinette d’où se dégage un crescendo étincelant que commente un saxophone narquois. Et c’est dans un rutilant tutti que s’achève ce triptyque qui mérite d’entrer au répertoire courant.
A Genève, du 12 au 25 novembre, a lieu la 20e édition du Festival Les Créatives, événement pluridisciplinaire qui met en lumière la production artistique et intellectuelle des femmes et minorités de genre. A son programme de saison, l’Orchestre de la Suisse Romande ajoute, le 13 novembre, un concert qui rend hommage à cinq compositrices des XIXe et XXIe siècles.
Que les temps ont changé si l’on pense qu’il a fallu attendre 1870 pour que s’ouvre au Conservatoire de Paris une classe de composition féminine, ce que devait ignorer, en 1892, un Antonín Dvořák estimant que les femmes n’avaient pas de force créatrice…
A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, la jeune cheffe polonaise Zofia Kiniorska se fait fort de prouver le contraire. Ayant obtenu en 2021 sa maîtrise ès-arts en direction d’orchestre et d’opéra à l’Université de Musique Frédéric Chopin de Varsovie, elle a été nommée cheffe assistante de l’OSR pour la saison en cours. Et c’est à une compositrice valaisanne présente dans la salle, Sandrine Rudaz, qu’échoit l’honneur d’ouvrir les feux. Établie à Los Angeles, elle enregistre sa musique dans un studio renommé comme l’Eastwood Scoring Stage à la Warner Bros. Les deux pièces présentées ici se rattachent à la musique de film à l’orchestration luxuriante. The Golden Phoenix confie au cor solo le soin d’évoquer l’approche du Phénix, oiseau fabuleux de la mythologie égyptienne, profitant du soutien des cordes pour atteindre son apogée et livrer un combat où il trouve la mort. De ses cendres, la flûte le fait renaître en imposant progressivement à l’ensemble des pupitres une générosité mélodique qui dépeint l’ascension vers les sommets, même si le piano en commente la fragilité. Aurore boréale cultive la même veine en décrivant à la fois la clarté et la beauté émergeant de l’obscurité comme la force de l’être humain confronté aux difficultés de l’existence. De la sérénité initiale se dégage une transition vers l’héroïsme où la détermination permet de surmonter les obstacles avant le retour au thème du début enrichi par une compréhension accrue par les épreuves.
A la suite des applaudissements nourris adressés à la compositrice, Zofia Kiniorska présente trois figures emblématiques du XIXe siècle, dont la plus captivante est assurément Mel Bonis (1858-1937), élève de César Franck, mariée contre son gré à un industriel de vingt-cinq ans plus âgé qu’elle, mais ayant une liaison cachée avec un chanteur d’opéra. De ses 300 œuvres pour diverses formations émerge un cycle de pages orchestrales évoquant des femmes de légende. Ainsi Le Songe de Cléopâtre op.180 impose un coloris orchestral qui se corse d’élans pathétiques par l’usage des cuivres, avant de sombrer dans une élégie mélancolique reflétant les états d’âme contrastés qui trouveront une conclusion abrupte. Ophélie op.165 est dépeinte par des bois plaintifs sur arpèges de harpe, confiant aux cordes ses impulsions passionnées que le destin condamnera par la marche implacable des vents, tandis que Salomé op.100/2 évoluera sur les éclats sauvages d’une danse que les bois rendront lascive pour s’achever étrangement devant la béance du néant.