A Genève, l’OSR collabore avec le Festival Les Créatives 

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A Genève, du 12 au 25 novembre, a lieu la 20e édition du Festival Les Créatives, événement pluridisciplinaire qui met en lumière la production artistique et intellectuelle des femmes et minorités de genre. A son programme de saison, l’Orchestre de la Suisse Romande ajoute, le 13 novembre, un concert qui rend hommage à cinq compositrices des XIXe et XXIe siècles. 

Que les temps ont changé si l’on pense qu’il a fallu attendre 1870 pour que s’ouvre au Conservatoire de Paris une classe de composition féminine, ce que devait ignorer, en 1892, un Antonín Dvořák  estimant que les femmes n’avaient pas de force créatrice…

A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, la jeune cheffe polonaise Zofia Kiniorska se fait fort de prouver le contraire. Ayant obtenu en 2021 sa maîtrise ès-arts en direction d’orchestre et d’opéra à l’Université de Musique Frédéric Chopin de Varsovie, elle a été nommée cheffe assistante de l’OSR pour la saison en cours. Et c’est à une compositrice valaisanne présente dans la salle, Sandrine Rudaz, qu’échoit l’honneur d’ouvrir les feux. Établie à Los Angeles, elle enregistre sa musique dans un studio renommé comme l’Eastwood Scoring Stage à la Warner Bros. Les deux pièces présentées ici se rattachent à la musique de film à l’orchestration luxuriante. The Golden Phoenix confie au cor solo le soin d’évoquer l’approche du Phénix, oiseau fabuleux de la mythologie égyptienne, profitant du soutien des cordes pour atteindre son apogée et livrer un combat où il trouve la mort. De ses cendres, la flûte le fait renaître en imposant progressivement à l’ensemble des pupitres une générosité mélodique qui dépeint l’ascension vers les sommets, même si le piano en commente la fragilité. Aurore boréale cultive la même veine en décrivant à la fois la clarté et la beauté émergeant de l’obscurité comme la force de l’être humain confronté aux difficultés de l’existence. De la sérénité initiale se dégage une transition vers l’héroïsme où la détermination permet de surmonter les obstacles avant le retour au thème du début enrichi par une compréhension accrue par les épreuves.

A la suite des applaudissements nourris adressés à la compositrice, Zofia Kiniorska présente trois figures emblématiques du XIXe siècle, dont la plus captivante est assurément Mel Bonis (1858-1937), élève de César Franck, mariée contre son gré à un industriel de vingt-cinq ans plus âgé qu’elle, mais ayant une liaison cachée avec un chanteur d’opéra. De ses 300 œuvres pour diverses formations émerge un cycle de pages orchestrales évoquant des femmes de légende. Ainsi Le Songe de Cléopâtre op.180 impose un coloris orchestral qui se corse d’élans pathétiques par l’usage des cuivres, avant de sombrer dans une élégie mélancolique reflétant les états d’âme contrastés qui trouveront une conclusion abrupte. Ophélie op.165 est dépeinte par des bois plaintifs sur arpèges de harpe, confiant aux cordes ses impulsions passionnées que le destin condamnera par la marche implacable des vents, tandis que Salomé op.100/2 évoluera sur les éclats sauvages d’une danse que les bois rendront lascive pour s’achever étrangement devant la béance du néant.

Augusta Holmès (1847-1903) est la première femme jouée à l’Opéra de Paris. Composant quatre ouvrages lyriques, le dernier, La Montagne noire, sera le seul à être représenté au Palais Garnier en 1895. Sa symphonie dramatique Ludus pro patria (1888) comporte l’Interlude La Nuit et l’Amour, présenté ici. Dans un lyrisme à la Massenet, le cor solo crée une atmosphère nocturne que les violoncelles imprègnent de volupté, tandis que les bois innervent de passion la générosité mélodique des violons. 

De Cécile Chaminade (1857-1944), issue de la haute bourgeoisie parisienne, auteur de plus de 400 œuvres qui lui font un nom tant en France qu’en Angleterre ou aux Etats-Unis, la postérité n’a conservé que sa production pour piano et ses mélodies. Mais en 1888 son ballet Callirhoë avait remporté un vif succès à l’Opéra de Marseille. La suite qui en est tirée révèle une instrumentation raffinée dans un Prélude laissant chanter les bois, rapidement emportés par un allegro héroïque que le Pas du Voile estompera dans les élans de valse de bois charmeurs, peu effrayés par les audaces rythmiques. Le Scherzettino évoque en filigrane les toiles arachnéennes tissées par la reine Mab que le Pas des Cymbales noiera sous la luxuriance orientalisante de cuivres cinglants.

Le concert s’achève par la première suisse de Glasslands, concerto pour saxophone soprano et orchestre d’Anna Clyne, « composer of uncommon gifts and unusual methods » selon le New York Times, car elle collabore avec des orchestres, chorégraphes, cinéastes et artistes visuels du monde entier. La soliste en est la saxophoniste parisienne Valentine Michaud, artiste en résidence de cette saison à l’OSR, qui aborde cette œuvre tripartite avec une maestria technique hors du commun. De traits agressifs aux aigus stridents se muant en mélismes tournoyants, le discours s’apaise en accalmies mélodiques suscitées par les bois amenant un adagio intériorisé où le saxophone dialogue avec le violoncelle solo, suivi de l’alto, du second violon et de la contrebasse puis du premier violon qui élabore un cantabile en forme de choral. Et c’est sur cette solennité triomphante que s’achèvera l’allegro vivo où le soliste braque une aveuglante virtuosité sur les traits de marimba aux connotations étranges.

Devant l’accueil enthousiaste du public, Valentine Michaud propose un bis singulier, une Guardiana de Maria Ramos, qu’elle ponctue de coups de talons percutants. En résumé, une passionnante soirée que radio et télévision ont eu la judicieuse idée de capter ! 

Genève, Victoria Hall, le 13 novembre 2024

Crédits photographiques : Magali Dougados

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