Tradition, tradition toujours...

par

Ensemble avec Amonasro (Mark-RUCKER) et Aïda-(Kristin-LEWIS)

Aïda à Liège
Après la squelettique Aïda ratée du Vlaamse opera en juillet 2011, il était temps de se replonger dans une véritable ambiance verdienne, Egypte fantasmée ou non, mais Egypte quand même. La récente production de l'Opéra Royal de Wallonie a partiellement comblé nos souhaits. Loin des sirènes du "Regietheater" cher au Nord de la Belgique, Liège n'en a pas pour autant réussi un chef-d'oeuvre. Créée à Bordeaux par Ivo Guerra et réalisée ici par Johannes Haider, la mise en scène correspond bien à un certain esprit lyrique principautaire : fidélité absolue au livret, costumes adéquats (allez, bon, même ces pagnes un peu crados) et jolies lumières sans doute, mais... c'est à peu près tout. Comme dans les Attila ou Roméo et Juliette de cette saison 2013-2014, on notera une totale absence de pensée, de conception dramaturgique. Mise en scène rime ici avec mise en illustration : chaussée géante, colonnes, chars, coiffes. Cette maigreur contraste fâcheusement avec la richesse aussi tragique qu'humaine dont le livret de Ghislanzoni (d'après Mariette et du Locle) est pourvu. Il y avait tant à réaliser ! Le conflit amour/devoir entre ennemis est universel et constitue le nerf d'innombrables opéras, particulièrement chez Verdi. Il est incompréhensible d'oublier cette évidence. Ceci dit, soyons honnêtes, l'ensemble est cohérent et accessible au néophyte, qui suivra bien l'action. Mais comment supporter ces choeurs immobiles et ces solistes en rangs d'oignons devant la scène aux fins d'actes ? Où est le mouvement ? Où se cache la vie, surtout ? Une direction d'acteurs prenante et travaillée peut palier une mise en scène indifférente, mais tel n’est hélas pas le cas ici : dans cette Aïda, chaque soliste est abandonné à lui-même. Radamès ne fait que lever ou baisser les bras et Amonasro enveloppe gentiment sa fille Aïda de son affection. Heureusement, celle-ci, ainsi que sa rivale Amneris, se révèlent bonne actrices : hasard heureux. Tout cela est terriblement dommage car on passe à côté de tant de richesses offertes tant par le livret que par la partition. Une fois encore l'ORW présente un spectacle correct sans plus. C'est bien mais loin d'être suffisant pour une scène européenne aussi importante. Il faut plus de rigueur dans le choix du metteur en scène. Musicalement, par contre, on pouvait se montrer satisfait. L'Aïda de Kristin Lewis a charmé par sa crédibilité, mais surtout par sa tendresse, sa passion, et ses superbes sons filés (l'air du Nil). Tout comme l'Amneris de Nino Surguladze, aux graves impressionnants : elle ferait une magnifique Eboli ! La scène du jugement au dernier acte, malgré le choeur off (on ne voit pas les juges), a peut-être constitué le sommet du spectacle : le drame était là, enfin ! L'Amonasro de Mark Rucker est anodin, tout comme le Roi de Roger Joakim. Luciano Montanaro a bien tenu le rôle de Ramfis. Quant à Radamès, on a appris que Massimiliano Pisapia avait suivi quelques cours de Franco Corelli. Il n'en a ni le timbre ni l'insolence, et son Celeste Aïda initial rappelait le "urlo francese" de sinistre mémoire. En outre, il a symbolisé à lui seul l'indigence de la direction d'acteurs. Après un début hésitant, Paolo Arrivabeni, rompu à ce répertoire, a dirigé une phalange honnête mais que l'on a connue meilleure, malgré quelques beaux soli (hautbois, clarinette basse, cors). Les deux derniers actes ont bénéficié d'une nette reprise en main, pour très bien se terminer sur un duo final fort ressenti. Ah ! j'oubliais : oui, les trompettes thébaines étaient bien là.
Bruno Peeters
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 30 mars 2014

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