Un Beethoven presque parfait
Ludwig van BEETHOVEN
(1770-1827)
Sonates pour violon et piano n° 9 en la majeur, op. 47 « A Kreutzer », n° 4 en la mineur, op. 23 et n° 2 en la majeur, op. 12 n° 2
Lorenzo Gatto (violon) et Julien Libeer (piano).2016-DDD- 73’14- Textes de présentation en français, néerlandais, anglais et allemand- Alpha Classics Alpha 240
Dans une discographie peut-être moins pléthorique qu’on ne pourrait le penser, mais où les versions de référence signées de prestigieux duos ne manquent pas -de Grumiaux/Haskil à Faust/Melnikov, en passant par Perlman/Ashkenazy ou Dumay/Pires (et j’en oublie certainement)- il faut du courage, voire de l’inconscience pour s’attaquer à ce monument que sont les sonates pour violon et piano de Beethoven. Ou peut-être simplement de la jeunesse et de l’enthousiasme, comme le laisse entendre la sympathique introduction de ces deux musiciens de 28 ans qui ont décidé de laisser un témoignage de belles soirées interprétées à Flagey à l’instigation de Gilles Ledure, directeur de la belle salle bruxelloise et initiateur de ce projet beethovénien, comme à d’autres endroits.
Autant le dire pour ceux qui ne connaîtraient pas les deux artistes en question, cet enregistrement est une belle réussite. En effet -même s’il est permis de se demander s’il n’eût pas mieux valu faire entendre ces sonates en la majeur et mineur dans l’ordre de leur composition pour mieux mettre en évidence le passage de la sonate pour piano et violon (comme expressément indiqué par le compositeur pour les op. 12 et 23) à celui de sonate pour violon et piano, comme l’est l’illustre Sonate « A Kreutzer », la plus célèbre des dix- le plaisir que procure cet enregistrement de grande classe est réel. Tout d’abord, Libeer et Gatto jouent comme on est en droit de l’attendre d’un véritable duo, plutôt que de deux instrumentistes réunis par l’un ou l’autre hasard. Ensuite, ils font l’un et l’autre preuve d’une belle musicalité reposant sur une très belle technique ainsi qu’une intelligence et une vivacité jamais prises en défaut.
La prestation de Julien Libeer porte la marque d’un musicien de tout premier ordre: la façon dont il domine le discours sans jamais écraser son collègue, sa splendide sonorité, sa vivacité de tous les instants et son aptitude à modeler apparemment sans effort la pâte sonore sont tout simplement admirables. Il a en Lorenzo Gatto un partenaire de qualité dont la finesse musicale est particulièrement perceptible dans les deuxième et quatrième sonates. Mais à plusieurs reprises (et même si les écoutes répétées amènent à légèrement modifier cette perception en faveur du violoniste), l’enthousiasme qu’on aimerait ici aussi éprouver pour ce musicien qu’on sait racé, élégant et ne manquant pas de personnalité, est tempéré par une retenue de la part de celui-ci qu’on s’explique assez mal. Certes, la prise de son d’une belle transparence opte pour un équilibre réaliste entre les deux instruments plutôt que de mettre en avant le violon, comme cela arrive souvent. Mais cela ne suffit pas à expliquer la réticence qu’on semble trop souvent percevoir de la part de Gatto qui, pour ne prendre qu’un exemple, ne réalise pas pleinement l’ampleur épique et quasi symphonique du premier mouvement de la Kreutzer, alors que sa sonorité paraît par moments étrangement terne. Pour une raison difficile à cerner (méforme passagère?), le son du violoniste paraît plus étriqué que le souvenir que j’en ai, de sorte que dans l’Andante con variazioni de cette même oeuvre, l’oreille est irrésistiblement attirée vers le pianiste. Et dans le Finale de la Sonate, il est difficile de se défaire de l’impression que la personnalité du violoniste -qui n’a rien d’effacé- est tout simplement moins affirmée que celle du pianiste.
Reste qu’il s’agit d’un enregistrement de très belle qualité et qu’on attend avec beaucoup d’intérêt la suite de cette intégrale avec un violoniste qu’on espère réentendre au sommet de sa forme.
Patrice Lieberman
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 9