Une monographie de Rossini vient enfin combler un manque en langue française

par

Grégoire Ayala : Rossini à la lettre. Paris, Premières Loges. ISBN : 978-2-84385-438-5. 2023. 443 pages. 25 euros.

Dans la riche série de biographies musicales consacrées par les éditions Fayard aux grands compositeurs, on a pu constater une absence de marque, celle de Rossini (il y en a d’autres : Bruckner, par exemple, dont on va célébrer le bicentenaire de la naissance, n’a pas eu non plus l’honneur d’une présentation). Même si, dans un passé récent, le mélomane a pu approfondir sa connaissance du génial Pésarais grâce au Gioacchino Rossini mode d’emploi de Chantal Cazaux (Première Loges déjà, 2020), ou à une présentation détaillée sur Les opéras napolitains de Rossini par notre confrère Paul-André Demierre (Papillon, 2010), il ne s’agissait pas, dans les deux cas, d’une étude de fond globale sur l’auteur du Barbier de Séville et de Guillaume Tell, qui, chose étonnante et incompréhensible vu la dimension du compositeur dans l’histoire de la musique, n’existait pas encore en langue française jusqu’à aujourd’hui. 

C’est désormais chose faite, et ce n’est pas à un musicologue qu’on doit cette monographie, mais bien à un historien, Grégoire Ayala, ancien élève de l’Université Lyon 2, spécialiste de l’histoire et de la civilisation de l’Antiquité méditerranéenne occidentale, ingénieur de recherches à l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP). Auteur de nombreuses publications à caractère scientifique, Ayala a cette fois quitté sa discipline de prédilection pour concrétiser son admiration envers un compositeur qu’il fréquente et admire depuis sa prime adolescence : cette longue assiduité avec la vie et l’œuvre du grand Maestro me permet de jeter un regard rétrospectif sur l’objet d’une passion fixe qui m’occupe depuis plusieurs décennies déjà. On saluera l’honnêteté intellectuelle du biographe lorsqu’il précise que c’est en historien qu’il a procédé : le lecteur ne trouvera dans cet ouvrage aucune donnée propre à la science musicale, ni à la lecture morphologique des œuvres de Rossini.

Ceci étant posé clairement, on apprécie tout à fait la démarche : retracer le parcours d’une vie et d’une carrière et relier la trajectoire personnelle d’une singulière figure créatrice à l’énumération la moins incomplète possible de ses œuvres rangées dans l’ordre de leur écriture. Pour concrétiser son approche, Ayala s’est imprégné largement de la littérature qui existe autour du compositeur depuis Stendhal, mais, au-delà des écrits antérieurs, qui oscillent entre commentaires parfois hasardeux et études de valeur, il s’est plongé dans la correspondance de Rossini, soixante ans qui éclairent son parcours, dans des témoignages divers et dans des extraits de presse. Il s’est efforcé d’éviter les clichés habituels et les caricatures qui présentent Rossini comme un amuseur, un nonchalant ou un amateur de bonne chère, en s’attardant, au-delà du génie créateur, à son intimité familiale ou amoureuse, à ses liens amicaux et financiers, à sa vie intellectuelle et artistique, sans oublier le contexte historique dans lequel il a évolué. Même s’il se défend de musicologie, l’auteur souligne souvent l’intelligence et la flamboyance orchestrale, la capacité de faire briller la virtuosité vocale, ainsi que l’efficacité dramatique. Cet historien mélomane passionné a une oreille exercée !

À coup sûr destiné au grand public en raison de sa lisibilité et de la clarté de son écriture, cet ouvrage adopte un découpage en six parties, chacune d’entre elles étant truffée d’entrées qui sont des chapitres courts, très documentés, qui correspondent la plupart du temps à une partition du Maestro. Les deux premières parties (« Prémices d’une identité » et « Genèse d’une esthétique ») couvrent les années 1792-1809, puis la période 1810-1816. On suit Rossini dans toutes les étapes de la création de ses opéras, de Bologne à Venise, de Milan à Naples et Rome, et les chefs-d’œuvre défilent, racontés avec brio, jusqu’au Barbiere di Siviglia de 1816. La passionnante troisième partie, qui s’étale sur quatre-vingts pages, s’attarde en « Pleine lumière » à ce qu’Ayala nomme l’incroyable maîtrise, entre 1817 et 1822. C’est l’époque de La Cenerentola, de La gazza ladra, de Mosè in Egitto, de La donna del lago, mais aussi de la Messa di Gloria. Suit « l’aventure européenne », qui débute à Vienne en 1822, pour se prolonger, via Vérone et la Fenice de Venise où est créée Semiramide, par Londres, avant l’installation à Paris en 1824, qui nourrira notamment Il Viaggio a Reims, Le comte Ory et l’extraordinaire Guillaume Tel, qui met un terme à l’écriture d’opéras du compositeur en 1829 ; un silence, sur lequel on a beaucoup glosé et qui demeure énigmatique. Au lieu de conjecturer, Ayala préfère estimer l’empreinte qu’il a laissée dans l’époque qu’il a vécue. Rossini vivra encore près de quarante ans. Il va voyager, se remarier (Olympe Pélissier après Isabella Colbran), vivre à Bologne et à Florence, avant de regagner Paris, cette fois définitivement. Il tient salon dans son appartement de la chaussée d’Antin, et habite dans sa villa de Passy. Grégoire Ayala consacre les deux dernières parties de son livre à s’intéresser à « Plus que l’artiste, l’homme véritable » (1830-1854) -c’est le temps du Stabat Mater et des Soirées musicales-, puis à l’attirance « Vers un nouveau langage » (1855-1868), avec les Péchés de vieillesse et la Petite messe solennelle. Dans cette analyse des dernières années, l’auteur évoque la complexité du personnage, mais aussi la cohérence de cette figure polyédrique à laquelle il réussit à donner toute sa dimension.

Le livre s’achève par un panorama allusif à la postérité du compositeur, avec ses hauts et ses bas, mais aussi par la constatation que, grâce aux éditions critiques, aux festivals qui lui sont dédiés, aux générations d’interprètes, aux chefs et metteurs en scène talentueux et ambitieux, l’étoile de Rossini remonte aux cimes du firmament musical contemporain. Complété par un catalogue par genre musical et une chronologie des œuvres citées, des indications bibliographiques et un index des personnes et des œuvres, voilà l’ouvrage en langue française désormais indispensable, dans l’attente de son complément pour la lecture musicale de ce répertoire si vaste et si passionnant.

Jean Lacroix    

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